Avec Auchan, « Vivons mieux, vivons moins cher » ou « chez Leclerc, vous savez que vous achetez moins cher »…Les prix cassés sont l’axe majeur des slogans de la grande distribution. « Mais comment vendre comme le propose Carrefour un lot de 2 paires de jeans à 10 € en conservant ses marges ? » s’interroge le collectif Ethique sur l’étiquette avant d’énoncer son hypothèse de réponse : « ces prix toujours plus bas sont largement acquis aux dépends des droits des travailleurs de milliers d’ateliers de misère. » Car selon l’association, qui a lancé le 12 novembre une campagne de 5 mois « Droits des travailleurs…liquidation totale ? », ce sont les salaires et les conditions de travail des ouvriers qui sont la variable d’ajustement des distributeurs. Leur salaire ne représente au final que 1 à 5% du prix total d’un jean…
Un poids lourd de l’habillement
Certes, le phénomène touche l’ensemble du secteur du textile et pas seulement les chaînes de supermarchés. Les H&M, Uniqlo et autres Zara n’ont pas d’autres méthodes pour proposer des produits tendance, à très bas prix, avec des rotations de collections ultra rapides. Et leurs marges (45%) sont encore plus conséquentes que celles de supermarchés (15%). Mais dans le marché éclaté de l’habillement, la grande distribution joue encore un rôle prépondérant, notamment dans les sous-vêtements, la catégorie la plus soumise aux pressions car « à faible enjeu d’image », selon une étude du cabinet Syndex. Aujourd’hui, son poids a tendance à se tasser mais la grande distribution reste encore détentrice de 13 % de parts du marché hexagonal. Et avec seulement 3% du total, Carrefour reste le premier distributeur de vêtements en France, suivi par Auchan (4ème) et Leclerc (5ème)*. « A taille de géant, responsabilité de géant », conclut donc l’association.
Pour étayer ses propos, celle-ci s’appuie sur le rapport international « Cash ! » publié en mars dernier par l’ONG Clean Clothes Campaign (voir article lié) - dont elle est le représentant français- ainsi que sur une étude commandée au cabinet Syndex et des entretiens avec trois des quatre distributeurs nommés dans la campagne : Auchan, Casino, Carrefour et Leclerc. Ces rencontres, ainsi que les réponses à l’étude, n’ont pourtant pas été faciles à décrocher, précise la présidente du collectif, Maïté Ricard. D’ailleurs, l’une des enseignes, Leclerc, n’a tout simplement pas souhaité faire suite à leurs sollicitations.
« Les pratiques de la grande distribution sont ambigües, explique Mariano Fandos, membre CFDT d’Ethique sur l’étiquette. D’un côté, elle demande une flexibilité maximum des prix, notamment avec le système des enchères inversées (lancement d’un appel d’offre remporté par le fournisseur annonçant le prix le plus bas et les délais les plus courts, ndlr) et d’autre part, elle établit des codes de conduites que les fournisseurs doivent respecter… ». Car, dans les textes, le collectif le reconnaît, les distributeurs ont fait des efforts.
Des bonnes pratiques…en théorie
Presque tous les distributeurs ont aujourd’hui des de chartes éthiques ou de codes de conduite qui imposent des critères sociaux à leurs fournisseurs et sous traitants, mais « ce sont presque toujours exclusivement les fournisseurs qui s’engagent à respecter les principes déontologiques, et non pas les donneurs d’ordre », indique le cabinet Syndex. Carrefour a ainsi indiqué au collectif qu’il serait prêt à faire évoluer le cahier des charges des acheteurs et Auchan explique « qu’un effort est réalisé au niveau de la formation des personnes en charge des achats ». Dans l’enseigne, 200 personnes des bureaux locaux (Inde, Chine, Bangladesh et Thaïlande) et de France ont ainsi été sensibilisées, par des formations théoriques et sur le terrain.
Pour autant, certaines chartes sont très faible comme celle de Leclerc qui ne fait pas mention du respect de la liberté syndicale, du salaire vital ou des heures de travail raisonnables... d’autres ont été obtenu de haute lutte : celle de Casino par exemple a été signée un mois avant qu’Amnesty International ne rompe officiellement son partenariat avec l’enseigne mi 2009, justement en partie parce que cette charte demandée expressément par l’ONG n’aboutissait pas. « Nous avons tout de même attendu 5 ans d’avoir des signes d’efficacité. Nous n’avons pas arrêté le partenariat en raison de violations de droits du travail, ce n’était pas l’objet du partenariat et nous n’avions pas les compétences, mais par rapport aux ressources consacrées. Nous n’avons pas eu les avancées attendues sur la mise en place des mesures visant à les prévenir », souligne Antonio Manganella, responsable de la commission entreprises de l’ONG. Il y a quelques années une collaboration avait aussi été discutée entre Auchan et le collectif éthique sur l’étiquette mais n’avait pu aboutir. En fait seul Carrefour a réussi à construire une collaboration dans la durée avec la Fidh avec laquelle elle travaille depuis 1997.
Une démarche de petits pas
Mais la mesure phare reste celle des audits sociaux réalisés dans les usines de confections dans le cadre de l’initiative clause sociale de la fédération du commerce et de la distribution (FCD), créée il y a maintenant dix ans (voir articles liés). Cependant leur fréquence varie (7 fois moins chez Auchan que chez Carrefour par exemple) et, le plus souvent, jusqu’à présent ces contrôles étaient annoncés des mois à l’avance. Pour Marie-France Tournon, responsable de l’Initiative clause sociale (ICS), ceci est tout de même en train de changer : « nous considérons aujourd’hui que les fournisseurs sont mieux informés de cette démarche, nous les prévenons donc qu’il y aura un audit, afin d’avoir toutes les pièces comptables, sans toutefois leur donner la date ».
Carrefour, qualifié de « moins mauvais élève » par le collectif, a par exemple adopté un dispositif de contrôle par une tierce partie au Bangladesh et organise souvent des visites inopinées. Si des manquements sont observés, des plans d’actions correctives sont mis en œuvre, avec l’appui de l’enseigne. Auchan, lui, assure avoir renforcé depuis 2008 ses procédures de contrôles, spécialement sur les produits à marque propre de l’univers enfant. En Chine par exemple, une coordinatrice a été nommée pour garantir la mise en place des audits sociaux ainsi que l’accompagnement des fournisseurs.
Mais, quant aux résultats, aujourd’hui encore, l’ICS avoue que l’on observe encore beaucoup de manquements, parfois très graves, notamment sur la question des salaires et des horaires. Portant, « les déréférencements sont rares, avoue Marie France Tournon. Nous préférons travailler avec les fournisseurs dans la durée, en limiter le nombre et assurer un suivi. Mais c’est complexe et cela prend du temps. Par exemple, nous avons testé un temps le fait d’être plus souple par rapport aux délais de commandes, mais cela a juste permis aux fournisseurs d’en prendre davantage ! Nous avons fait beaucoup de choses mais nous œuvrons à notre échelle et par petits pas… »
Béatrice Héraud