Terra eco : Pourquoi avez-vous créé ce cours intitulé "Business and Climate Change" ?
Anant Sundaram : "La planète est confrontée à un grand nombre de fléaux comme la pauvreté ou la faim. Mais dans le cas du réchauffement climatique, les entreprises ont une énorme part de responsabilité car il existe un lien direct de cause à effet entre leur activité et le réchauffement climatique du fait de leur utilisation massive d’énergie fossile. Cela signifie également que la facture pour les entreprises qui devront affronter les conséquences du changement climatique sera très élevée. Prenez les compagnies d’assurance : la récurrence des inondations et autres catastrophes naturelles risque de leur coûter de plus en plus cher. D’où la nécessité d’éduquer les managers de demain pour qu’ils prennent la cause au sérieux."
On note aux États-Unis une réticence du monde des affaires à affronter cette question comme l’illustre la position de la chambre de commerce américaine qui s’oppose au plan de l’administration Obama visant à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi cette opposition sachant que les enjeux semblent clairs ?
"Il est vrai que si vous comparez les États-Unis à l’Europe, les Américains semblent avoir du retard. L’Europe a déjà instauré un marché des émissions de GES alors que l’Amérique peine à adopter un système équivalent. Il existe quelques initiatives régionales comme la « Western Climate Initiative » [lancée par Arnold Schwarzenegger, le gouverneur californien, la Western Climate Initiative regroupe un certain nombre d’États de l’ouest du pays de l’Arizona en passant par le Nouveau-Mexique ou l’Oregon ainsi que des provinces canadiennes afin d’unir leur efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique] mais jusqu’à aujourd’hui les États-Unis n’ont pas encore imposé une taxe sur le carbone. En revanche, je suis frappé par le nombre d’entreprises américaines qui, sans faire nécessairement beaucoup de battage, se sont attaquées à réduire leurs émissions. Une grande majorité des dirigeants des entreprises du S&P 500 [indice boursier basé sur les 500 plus grandes sociétés américaines cotées]se sont réveillés sur ces questions car ils réalisent que le jour où sera instaurée une taxe aux États-Unis, les entreprises qui ne se seront pas mises au régime carbone devront payer cher leur inaction. Aujourd’hui, presque deux tiers des entreprises du S&P 500 calculent volontairement leurs émissions de CO2 contre 20% il y a cinq ans, et plus de la moitié ont créé des postes de responsable du développement durable. Une société comme 3M a diminué ses émissions de 69% entre 2002 et 2008. Apple est devenue la première société à calculer le bilan CO2 de ses produits sur l’ensemble de leur cycle de vie et assure commercialiser les portables les plus verts du marché.
Pourquoi font-elles cela ? Pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, elles espèrent en tirer un avantage concurrentiel le jour où sera imposée une taxe sur le carbone. Ensuite, et c’est sans doute leur motivation principale, elles espèrent faire pression sur les hommes politiques pour que les régulations adoptées fonctionnent à leur avantage. Troisième et dernière raison : ces questions font désormais partie de leur identité de marque d’autant plus que leurs employés sont sensibilisés aux questions environnementales. Aujourd’hui, l’efficacité énergétique est perçue comme un avantage concurrentiel et un moteur de croissance. La position de la chambre de commerce américaine est donc totalement rétrograde."
Vous avez créé le Fossil Fuel Beta (FFß), une méthode que vous enseignez à vos étudiants de MBA qui permet de mesurer l’impact des fluctuations du prix des hydrocarbures sur la valeur boursière des grandes entreprises. Quel en est l’objectif ?
"Cet outil [développé à l’origine pour CF0, le magazine de la finance] repose sur une règle très simple : celle des trois fois 80. 80% des émissions de gaz à effet de serre sont des émissions de CO2 ; 80% des émissions de dioxyde de carbone proviennent de la combustion d’énergies fossiles et 80% des émissions sont émises par les 6 ou 7 plus gros secteurs de l’économie. En me basant sur ce principe j’ai donc voulu créer une méthode nous permettant d’évaluer l’impact des fluctuations du prix de l’énergie fossile sur la valeur des titres en bourse des entreprises du S&P 500. Dans le domaine de la grande distribution par exemple, sur la demi-douzaine de sociétés que compte le S&P 500, 22 d’entre elles, d’après mes calculs, ont un FFß négatif, ce qui signifie que l’augmentation du prix des hydrocarbures exerce un impact négatif sur leurs bénéfices par action. Seules deux sociétés enregistrent un FFß neutre dont Walmart, entreprise qui s’est montrée particulièrement agressive dans son combat pour réduire ses émissions de CO2, au point que sa valeur boursière n’est plus affectée par les fluctuations du prix des hydrocarbures. Si j’étais le PDG de Target ou de Tiffany j’aurais donc tout intérêt à m’inspirer de Walmart pour arriver à minimiser l’impact négatif que peut avoir une augmentation du prix du pétrole sur mes bénéfices par action."