Après la santé et la nutrition, Mohammad Yunus et la Grameen Bank ciblent un nouvel objectif au Bengladesh : la distribution d’eau potable pour les populations rurales. En effet, si l’eau ne manque pas dans ce pays, la plupart des nappes phréatiques sont contaminées – de manière naturelle- à l’arsenic, rendant l’eau impropre à la consommation. La Grameen Bank vient donc d'élargir son champ d'action à la distribution d'eau potable, après avoir lancé avec Danone, en 2006, la Grameen Danone Foods. Une micro-usine, située dans le nord du Bengladesh, fabrique le "Shokti Doi" ( « qui signifie Energie yaourt » ), un produit enrichi en micro nutriments pour lutter contre la malnutrition ; mais également pour créer de l'emploi localement. Car le but de l’entreprise, au-delà de la rentabilité, est bien d’atteindre des objectifs sociaux, tels que le nombre d’emplois directs et indirects créés ( producteurs de laits, petits grossistes, vendeuses en porte à porte), le développement d’une activité économique de proximité, l’amélioration de la santé de la population ou encore la préservation de l’environnement. Les bénéfices de l’entreprise sont en outre réinvestis pour développer d’autres usines sur le même modèle dans le pays.
Car l’objectif poursuivi par Mohammad Yunus, dans ses différents projets, est constant : développer des activités économiques et sociales sur le principe du « social business ». Cette fois, c’est avec Veolia que la Grameen Bank a crée une filiale, la Grameen-Veolia Water, dont l'objectif est de fournir de l'eau potable aux populations les plus pauvres du Bangladesh. Inaugurée le 24 juin 2009, l’usine de production et de traitement d’eau, située à une centaine de kilomètres de Dacca, la capitale, permet d’alimenter une dizaine de bornes-fontaines situées aux alentours et dont seules des "Grameen ladies"* (réseau de femmes qui distribuent également les « Shokti Doi ») détiennent la clé. Chaque FOYER peut acheter jusqu'à 30 litres d'eau potable par jour à un prix modique : de 0,2 à 0,5 centime d'euros par litre, selon la distance de la borne à l'usine. Soit 100 fois moins que l’eau en bouteille vendue localement…L’investissement, de l’ordre de 500 000 euros, devrait permettre à terme d'alimenter 100 000 personnes.
Pour Eric Lesueur, directeur du projet chez Veolia, il s’agit « d’un test grandeur nature ». « Ce nouveau mode de partenariat est inédit pour Veolia, nous n’avons pas fait d’étude de faisabilité au préalable. Mais une chose est sûre : ce projet nous permet d’enrichir notre rôle dans le développement durable et de sortir du métier traditionnel de l’eau pour répondre à des besoins sociétaux ». Contrairement à d’autres entreprises, qui développent des produits et des services à bas prix destinés aux populations des pays pauvres (« bottom of the pyramid ») Veolia se défend de vouloir, par ce biais, conquérir de nouveaux marchés. « Nous n’opérons qu’en milieu urbain et nous n’avons pas l’intention détendre notre offre aux zones rurales », explique à ce sujet Eric Lesueur. Par ailleurs, si le projet peut réserver des surprises et des imprévus, l’investissement « n’est pas si élevé », estime Eric Lesueur, qui préfère évoquer une logique « gagnant-gagnant ». « Le social business fonctionne comme le business conventionnel, mais avec un bénéfice humain, souligne-t-il. L’intégralité des bénéfices sera réinjectée pour permettre le développement d’autres projets liés au domaine de l’eau. Ce n’est donc pas du mécénat, ni un mécanisme semblable à l’aide internationale, qui n’a d’ailleurs pas fait ses preuves jusqu’ici. » S’il reste encore à trouver le bon équilibre commercial de ce nouveau service, ce projet pilote est déjà considéré par le groupe comme une nouvelle voie pour la réalisation des objectifs du Millénaire. L’un d’entre eux étant de réduire de moitié d'ici 2015 le nombre de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable dans le monde.
*Les Grameen ladies est un réseau de femmes qui effectuent la distribution des produits ou services de la Grameen en porte à porte. Ce réseau fonctionne sur la proximité, ces femmes étant issues des villages proches des usines. Le principe de ces projets est en effet de développer une activité locale et de lutter contre l’exode rural.