« Certains pays, aussi petits soient ils, peuvent ouvrir la voie et montrer l’exemple à la communauté internationale ». C’est ainsi que Luc Mampaey, chercheur au GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité basé à Bruxelles) explique sans forfanterie les spécificités belges sur l’interdiction des armes controversées. Depuis le 2 juillet 2009, la Belgique est le seul pays au monde à interdire l’usage mais aussi le financement des armes à uranium appauvri. Elle était déjà la seule à s’être dotée, en juin 2006, d’une législation du même genre sur une vingtaine d’autres armes comme les bombes à sous munition ou les mines antipersonnel. L’idée est de lier la mise en conformité avec des conventions internationales prohibant certaines armes et l’interdiction de posséder des actions des entreprises qui les fabriquent. « Si c’est illégal d’utiliser ces armes, il est logique que ce soit aussi illégal d’aider à les produire » expliquer Esther de Netwerk Vlaanderen, l’ONG flamande à l’origine de la plupart des campagnes contre les banques. « Nous avons constaté que certains acteurs financiers continuaient à détenir ce genre de placement malgré la loi de 2006, nous les avons dénoncés publiquement. » L’ONG a donc déclenché récemment une nouvelle passe d’armes. Elle a fait constater par huissier que la liste noire des entreprises fabriquant des armes controversées, promise par le gouvernement belge en 2008, n’était toujours pas publiée à l’été 2009. Le gouvernement s’est, après cette action, engagé à la publier avant la fin de l’année. Les acteurs financiers ont eux promis de s’aligner sur la liste noire.
« Nous avons quelques ONG très actives et une industrie de l’armement quasi-inexistante » explique Luc Mampaey pour justifier le tropisme belge. Autre particularité, le débat éthique sur les armes controversées est animé par des parlementaires, le député socialiste Philippe Mahoux en tête. C’est lui qui est à l’origine du premier projet de loi et de son extension à une nouvelle catégorie d’armes « sales », celles à uranium appauvri. Le débat sur les dégâts causés par ces dernières, assimilées par leurs détracteurs à des déchets radioactifs, a commencé avec les guerres du Kosovo et du Golfe. Elles seraient utilisées par les armées américaine et anglaise dans leurs zones de guerre actuelles (Irak, Afghanistan) mais le débat a pris une acuité particulière ces derniers mois. L’armée israélienne est accusée de les avoir utilisées dans Gaza, territoire où la population est particulièrement concentrée. Philippe Mahoux a fait venir un médecin irakien devant le Parlement pour expliquer quelle était la nocivité de ces armes. Celui-ci a adopté le projet de loi à l’unanimité.
Acteurs financiers pris à partie
Inscrire dans la loi l’interdiction d’armes bannies par des traités internationaux est déjà rare mais le fait de prohiber tout investissement dans des projets de ce type est unique. La loi belge rayonnera-t-elle au-delà de ses frontières ? En Europe du Nord, l’investissement dans l’armement est une question éthique sur laquelle les fonds de pension, par exemple, sont fréquemment interpelés. En Suède, il y a régulièrement des campagnes de presse stigmatisant les placements de tel ou tel. Aux Pays-Bas, la diffusion, au printemps 2007, d’une émission de télévision expliquant que les fonds de pension (à cotisation obligatoire) avaient des actions d’entreprises fabriquant des armes controversées a provoqué un scandale. Les fonds mis en cause ont du revoir complètement leur politique d’investissement et se doter d’outils d’analyse ad hoc. Le jeu des participations croisées rend parfois difficile la connaissance des activités des entreprises en portefeuille. Il existe dorénavant des offres proposées par les agences de notation extra-financière qui leur permettent de savoir s’ils détiennent ou non des parts d’entreprises fabriquant des armes prohibées.
En France, le débat sur les armes controversées est beaucoup moins vif mais il existe suffisamment pour avoir conduit certains grands acteurs financiers à prohiber ce type de placements. C’est le cas par exemple de CAAM, la société de gestion du groupe Crédit Agricole, ou d’AXA IM, la société de gestion du groupe AXA. Dans ce dernier cas, le groupe d’assurance a été en butte à une campagne d’Amnesty International et Handicap International. Elles ont annoncé publiquement, en mars 2007, la résiliation de leurs contrats d’assurance avec la compagnie pour l’inciter à prohiber tout investissement dans les Bombes A Sous Munition. En 2007, AXA s’est « engagé à retirer ses investissements des entreprises impliquées dans la production ou la vente de bombes à sous-munitions et de mines anti-personnel ». La décision a été appliquée à l’échelle mondiale en 2008 même si le groupe souligne toujours que « des entreprises privées n'ont ni expertise ni légitimité pour prendre position sur les différents sujets politiques ou éthiques soulevés par des représentants de la société civile ».
Si l’investissement éthique à proprement parler reste marginal en France où les offreurs de fonds préfèrent proposer des placements favorables au développement durable, le rejet des armes controversées qui touchent d’abord les populations civiles, fait l’objet d’un consensus international et de traités d’interdiction. Ce statut particulier leur a permis de faire partie intégrante des stratégies d’investissement de deux acteurs financiers français qui gèrent plus de 800 milliards d’euros.