Le Center for Food Safety (Centre pour la Sécurité Alimentaire), qui regroupe 85 000 membres aux États-Unis, a bien du mal à faire entendre sa voix face au puissant groupe Monsanto. "Nous attendons une décision de la Cour Suprême sur la luzerne génétiquement modifiée a la fin du mois d'avril", assure pourtant Debi Barker, directrice du programme international de CFS. But du jeu: interdire la culture des graines de luzerne tolérantes à l'herbicide Roundup Ready. Si les amis du CFS l'emportent, Monsanto devra ranger sa luzerne. Mais le groupe du Missouri a fait tellement de progrès sur d'autres cultures que l'impact de la décision judiciaire sera quoi qu’il en soit limité.
Monsanto (11,7 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2009, 2,1 milliards de bénéfices), numéro un des OGM, loin devant son principal concurrent Pioneer Hi Bred, domine le marche du maïs, du soja et du coton. Ses graines de soja et son Roundup Ready sont vendues aux paysans américains depuis 1996. Ses cotons et blés résistants aux insectes ont été introduits sur le marché l'année suivante.
Résultat: 85% du maïs américain est aujourd'hui génétiquement modifie, 91% du soja et 88% du coton, selon les propres statistiques du CFS. De même, 70% des produits alimentaires vendus dans les supermarchés ont été fabriqués avec des ingrédients génétiquement modifiés. Monsanto, ainsi que ses fabricants sous licence et ses concurrents du secteur des biotechnologies ont ainsi réussi à mettre en culture OGM 64 millions d'hectares américains, dit-on a l'ISAAA, l’International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications. Et la conquête d'autres pays du monde -Chine, Brésil, Inde, Argentine, Afrique du Sud...- se fait à grands pas. 134 millions d'ha sont aujourd'hui en culture dans le monde, 200 millions le seront en 2015, prévoit l'ISAAA.
Un secteur peu réglementé
De fait, les OGM sont bien acceptés aux États Unis. Les éventuels risques encourus par les consommateurs (allergies, résistance aux antibiotiques, suppression du système immunitaire...) que mettent en avant les associations écologistes n'ont pas convaincu le gouvernement. La sécurité de la chaine alimentaire est surveillée par 8 agences fédérales, mais la réglementation n’a pas été modifiée depuis l’apparition des OGM…
Le secteur reste donc "libre", tant et si bien que les analystes de Wall Street, qui surveillent l'évolution de l'action Monsanto sur le New York Stock Exchange, s'intéressent peu aux arguments écologiques ou sanitaires. Ils préfèrent étudier le potentiel financier de la nouvelle génération de graines, mises au point par les scientifiques de Monsanto. Elaine Yip, l'analyste de la banque Crédit Suisse, croit avant tout à la "puissance" des OGM. Selon elle, les futurs maïs protégés contre les chrysomèles des racines, le soja et le colza tolérants au glyphosate et le maïs résistant à la pyrale permettront à Monsanto de "garder sa position de leader sur le marché". PJ Juvekar de Citigroup est lui aussi impressionné. La force de frappe de Monsanto "n'a aucun équivalent chez ses concurrents", assure-t-il.
Seule ombre au tableau : l'enquête "anti-trust" que viennent d'ouvrir les ministères de la justice et de l'agriculture aux États-Unis. David Begleiter, de la Deutsche Bank, s'est intéressé à la première audition publique qui a réuni en mars dernier dans l'État de l'Iowa, haut fonctionnaires, agriculteurs et représentants du monde associatif. Objet de leur discussion: que va-t-il se passer lorsque le brevet Monsanto sur le soja tolérant le round up va expirer en 2014? Les représentants de Monsanto obligeront-ils les paysans à détruire leurs vieilles graines? Vont-ils combattre d'éventuels produits génériques? Des réunions publiques sont programmées jusqu'au mois de décembre sur cette fin de monopole…
De son côté, la direction de Monsanto essaie de calmer les craintes du ministère de la justice en promettant une conduite irréprochable. En attendant, les troupes anti-OGM fourbissent leurs armes. Le Center for Food Safety a lance une pétition, signée par 38 000 personnes, demandant aux fabricants de bonbons Hershey et Mars de ne pas utiliser les betteraves à sucre génétiquement modifiées. Sur le front législatif, Dennis Kucinich, un élu démocrate de la Chambre des Représentants, a présenté au Congrès un projet de loi réclamant des tests sur les OGM avant la mise sur le marché et l'étiquetage des produits. Ses homologues, eux, n'ont pas été passionnés par le sujet.
Caroline Crosdale à New York