« La colère monte aux États-Unis. » Accompagné d'une vingtaine de salariés américains de Sodexo, Mitch Alkerman, vice-président exécutif de l'Union internationale des employés des services (SEIU), est venu dénoncer les pratiques anti-syndicales de la firme, lors de son Assemblée générale à Paris le 25 janvier. « Sodexo se revendique socialement responsable, mais quand on est présent dans plus de quatre-vingt pays, il faut être socialement responsable partout. Or, Sodexo menace ses employés américains qui s'investissent dans une démarche syndicale. »
Les créations de syndicats brimées par la firme
Les pratiques anti-syndicales sont aujourd'hui monnaie courante dans de nombreuses entreprises américaines. Selon une étude de Kate Bronfenbrenner, directrice du Cornell University’s School of Industrial and Labor Relations, publiée en mai 2009, les tactiques patronales « intenses et agressives », destinées à bloquer la liberté d’association des travailleurs, prolifèrent ces dernières années. Et la multinationale française n'échappe pas à la règle. Implantée aux États-Unis depuis 1995, Sodexo y compte près de 100 000 salariés, dont 20% à peine bénéficient d'une convention collective. D'après les témoignages des quelques salariés américains, la firme déploie en effet tous ses moyens pour enrayer les velléités syndicales. Brenda Espinoza, agent de restauration au Doctors Hospital de Manteca en Californie, en a fait l'expérience : « je m'entendais bien avec mon patron, mais quand nous avons annoncé notre intention de créer un syndicat, les choses ont changé. Deux semaines plus tard, la direction a organisé des réunions obligatoires, où nous étions obligés de nous asseoir et de regarder un film discréditant les syndicats. Ils organisent des réunions anti-syndicales entre quatre yeux avec les salariés. Les employés ont peur, parce que les patrons ne s'étaient encore jamais comportés ainsi à notre égard. »
Intimidations
Menaces de licenciement ou de pertes de revenus, intimidations, voire humiliations semblent être le quotidien de ses salariés engagés. Kristen Johson, qui travaille à la cantine de l'Emory University d'Atlanta, garde un souvenir amer de l'attitude de sa direction : « Nous aussi nous avons voulu créer un syndicat, mais la direction ne l'a pas bien pris. Après avoir écouté nos revendications, ils nous ont adressé un courrier, dans lequel ils nous promettaient de nous offrir des gâteaux pour nos anniversaires, des pique-niques entre collègues ou des sorties dans des parcs d'attraction. C'était vraiment insultant. » Elle avoue d'ailleurs ne pas être certaine de retrouver son emploi à son retour aux États-Unis.
Pour Mitch Alkerman, la solidarité est plus que jamais nécessaire : « il faut tirer profit de la puissance des employés. » À ses côtés, délégués syndicaux français et britanniques acquiescent et évoquent les derniers mouvements sociaux dont ils sont sortis vainqueurs. Jan Dent, du syndicat anglais Unison, revient sur le conflit qui a opposé les salariés de la ville de Devon à Sodexo. « Nous avons fait grève juste après Noël. Nous étions une centaine sous la neige, à exiger des augmentations de salaires, les paiements d'arrêts maladies, un accès à la formation et une réduction de notre temps de travail. Et finalement, à force de motivation, nous avons gagné. »
La signature d'un accord avec la direction comme seule issue
Ces bras de fer entre directions et salariés sont malheureusement le seul moyen pour ces derniers de faire valoir leurs droits aux États-Unis. L'unique loi qui régit les relations sociales entre salariés et patronat date en effet de 1935 et laisse à la direction le choix de la procédure de reconnaissance d'un syndicat. Une liberté qui lui permet souvent de mener une campagne anti-syndicale avant la tenue éventuelle d'élections de représentants. Comme le souligne Michael Laslett, directeur Europe du SEIU, « il n'y a quasiment aucune protection des travailleurs aux États-Unis : pas de code du travail, pas de conseil prudhommal. Le seul terrain propice à l'amélioration des conditions de travail est celui de l'entreprise. »
Lors de son AG, le groupe a également été interpellé sur les problèmes de discrimination aux Etats-Unis. Une série d’actions en justice (class action) ont en effet été intentées depuis plusieurs années, qui se sont soldées par des transactions financières. Sodexo a notamment versé en 2005 80 millions de dollars pour mettre fin à une class action pour discrimination de salariés afro-américains, puis en 2007, 788 877 dollars pour discriminations à l’embauche de minorités ethniques et 80 000 dollars en 2008. Selon le Centre français d’information sur les entreprises (CFIE), « les orateurs avaient durant les exposés largement « préparé » les réponses à ces questions en listant, notamment, les nombreux prix obtenus par le groupe à travers le monde et en insistant sur les efforts menés pour accroître le taux de satisfaction des salariés et, accessoirement, réduire le très coûteux taux de rotation du personnel (36 %). »
En 2004, une première ouverture avec Sodexo avait pourtant suscité l'espoir. Le SEIU avait en effet obtenu la signature d'un accord sur la période 2005-2008 ouvrant le droit de se syndiquer à 10% des salariés américains de la firme. D'après Michael Laslett, « cet accord laissait à Sodexo le choix des sites sur lesquels les employés pouvaient se syndiquer. Il n'était certes pas entièrement satisfaisant, mais au moins, il marquait une première étape vers une amélioration globale des conditions de travail. »
Or, depuis que l'accord a expiré en décembre 2008, les revendications des syndicats sont laissées lettres mortes. Un silence d'autant plus surprenant que les deux autres multinationales avec qui Sodexo se partage 80% du marché, Compass et Aramark, ont signé des accords de conventions collectives avec les syndicats internationaux en 2009.
Le SEIU rappelle par ailleurs aux actionnaires de Sodexo, réunis en Assemblée générale à Paris, que de tels accords « peuvent contribuer à atténuer les risques en termes de sécurité du travail et de réputation, mais aussi de garantir que les droits des employés et des syndicats sont scrupuleusement respectés dans l'ensemble des filiales de la société. »
Et de proposer à nouveau : « Sodexo serait-il disposé à entamer une discussion en vue de conclure une telle convention collective ? »
En réponse, la président fondateur Pierre Bellon a garanti le respect par Sodexo des droits fondamentaux des travailleurs dans chaque pays où la firme est présente. Pour lui, la liberté de créer une délégation syndicale aux Etats-Unis est respectée, arguant pour preuve que 15% des salariés américains sont syndiqués. Mais alors qu’une salariée originaire de Louisiane s’apprêtait à décrire les difficultés de terrain, Pierre Bellon a préféré lui couper la parole. Le président du CA a par ailleurs évoqué la tenue d’une réunion avec l’Union Internationale des Travailleurs de l’Alimentation (UITA) le 17 février prochain ayant pour objet la conclusion éventuelle d’un accord de convention collective internationale. Une annonce qui a grandement surpris le SEIU, qui n’était pas au courant de cet événement, et qui montre quelques réserves quant à sa véracité : d’après Michael Lanslett, le secrétaire général de l’UITA sera ce jour-là en voyage…