Novethic. Quelques jours après la fin du sommet, et passées les premières réactions forcément émotionnelles, quel bilan tirez-vous de Copenhague ?
Pierre Radanne. Forcément, il y a d’abord quelque chose d’inachevé notamment du fait que, malgré un temps fou de négociation, on est rentré dans une stratégie de bord du gouffre : la négociation finale n’a pris que deux jours alors que l’on en avait passé 75 auparavant. De plus, on a changé trois fois d’acteurs dans la même semaine ; entre les fonctionnaires, les ministres et les chefs d’Etats…Ce qui a eu pour résultat qu’à la fin nous n’avons pas d’objectifs climatiques ni d’objectifs de réduction clairs dans l’accord. Tout cela est très embrouillé et très très décevant.
Dans le texte final, on parle d’ailleurs très peu des mécanismes de mise en œuvre et l’on n’a pas d’indication sur le prolongement de ceux de Kyoto…
Le protocole de Kyoto est vivant, dans sa forme et les engagements des pays industrialisés, jusqu’en 2012. D’ici là, il va donc falloir penser la suite. Or Copenhague a complètement délaissé ce travail là. Pourtant il y a urgence, car il faut bien compter deux ans pour que, dans le cas d’un traité, il soit ratifié par chaque pays. Donc, dans l’année qui vient, à Mexico, il va falloir reprendre le sujet car le raté de Copenhague ne peut pas être un raté définitif…
Il faut bien voir aussi que l’autre objet de Copenhague était de faire rentrer les Etats-Unis dans le protocole de Kyoto. Et cette question américaine a complètement bloqué le jeu. Les Etats-Unis sont en effet restés contre l’idée d’un traité et là-dessus, ils ont été rejoints d’un certain sens par les Chinois qui ne voulaient pas se mettre dans une logique d’engagements contraignants, gourmands qu’ils sont de leur croissance économique nouvelle…
Ce flou dans les mécanismes et objectifs de réduction d’émission a aussi eu pour conséquence une baisse immédiate des prix du carbone. L’échec de Copenhague peut-il hypothéquer la suite du marché carbone ?
Il faut bien voir que toute la finance carbone est accrochée au protocole de Kyoto. Donc, forcément, si le mécanisme dérape, les prix du carbone plongent. Ce qu’il est intéressant de noter c’est que les mêmes qui demandent à faire entrer le plus possible de financement privé sont aussi ceux qui ne veulent pas du protocole de Kyoto…
Peut-on tout de même trouver des éléments positifs dans cet accord de Copenhague?
Il ne faut pas considérer que c’est un échec total. J’ai le sentiment que sur la partie financière par exemple, si cela ne retombe pas, il y a peut être quelque chose qui va se déjouer. Nous allons peut-être réussir à rentrer dans une espèce de programmation pluriannuelle financière qui permettrait d’aborder sérieusement la question du développement. Il y a deux ans, à Bali, la question du développement avait en effet été complètement contournée. Là, j’ai le sentiment qu’elle est en train d’y entrer. Mais cela reste à confirmer.
Concernant le processus de négociation en lui-même, celui-ci a beaucoup été critiqué, notamment concernant le fait que l’accord a été trouvé par une poignée de chefs d’Etats réunis à huis-clos…
Il y a une vraie crise du processus multilatéral qui est aussi une crise de croissance ; le système de l’ONU est totalement sous-dimensionné par rapport au problème qu’il a à traiter. Le point qui a été extrêmement dévastateur dans les deux dernières journées, c’est l’absence de mandat de l’ONU, la difficulté des Chefs d’Etats à avancer et le « mano à mano » entre les chefs d’Etats américain et chinois. Nous sommes donc repartis dans une logique de bloc avec des affrontements de grandes puissances -qui ne font que se marquer- et pour lesquelles le sujet du climat est devenu secondaire. Et ce, alors même qu’il y a un compte à rebours devant nous et qu’il fallait que l’on arrive à un accord.
Ce qui est ressorti de Copenhague, y compris dans l’espèce de déprime qu’il y a eu dans la tête des gens, c’est qu’en fait, on avait besoin d’un traité. On avait 130 chefs d’Etats ; donc on attendait un serment, c'est-à-dire une proclamation témoignant d’une envie d’avancer pour l’intérêt commun. [ une phrase supprimée] Alors quand on nous renvoie vers ce texte où chaque pays doit se débrouiller, où il n’y a pas d’engagement contraignant alors qu’on a un objectif à atteindre, et que l’on ne sait pas ce que va faire chaque pays, c’est très angoissant.
On a l’impression qu’avec l’exclusion des ONG de la fin des négociations, le processus démocratique a été bafoué ou du moins mis à mal…
Il y a eu des éléments d’organisation à Copenhague problématiques vis-à-vis des ONG. Ce qu’il ne faudrait surtout pas, c’est que cela devienne quelque chose d’habituel et qu’il aboutisse à une sortie définitive des ONG. Car jusqu’à présent le système onusien sur la question du climat, c’était un « hyper Grenelle », avec des réunions à plus de 10 000 personnes dans lesquelles cohabitaient les négociateurs représentants officiels des Etats, les entreprises, les ONG, la presse, les collectivités locales, etc. Et tout le monde travaillait en commun. Cet hyper Grenelle a été cassé, pas uniquement pour des questions de sécurité mais parce que, réellement, il y a eu la peur d’un clash entre ces 130 chefs d’Etats, leur entourage, leur service de sécurité, et les ONG. Résultat, les autorités ont préféré exclure les ONG. Or, jusqu’à présent la négociation sur le climat a été la seule négociation multilatérale vivante. Toutes les autres sont bloquées parce que les négociateurs des Etats -comme à l’OMC- n’ont pas cette espèce de dynamique qui les poussent et que chaque pays, dans le silence feutré des salles de négociations, verrouille ses positions, bloque le jeu. Ce qui fait que la machine n’avance plus.
A Kyoto, c’était des ministres de l’ENVIRONNEMENT -des gens qui étaient en fait plutôt minoritaires dans leur gouvernement- qui négociaient par rapport à un sujet qui n’avait pas encore l’importance qu’il a aujourd’hui. Douze ans plus tard, pour la même négociation, ce sont les chefs d’Etats qui sont intervenus. La machine devient donc beaucoup plus lourde et le risque est qu’elle devienne une machine d’exclusion.
Vous étiez aux côtés des pays africains francophones pour les négociations. L’Afrique a-t-elle trouvé sa place dans ce sommet de Copenhague ?
Pour la première fois, avec les négociations intermédiaires de Barcelone, oui. Car c’est la première fois que l’Afrique a su se mettre collectivement en position d’exigence. Il y avait un risque que ces négociations se déroulent en triangulaire ; entre l’Europe, la Chine et les Etats-Unis. C’est effectivement ce qui s’est passé, mais l’Afrique a su faire entendre sa voix dans la première phase des négociations. Il faut bien comprendre que nous ne pourrons pas avoir de stabilisation du climat si nous ne prenons pas en compte les exigences des pays en développement et notamment de l’Afrique. Si cette partie de l’accord sur la solidarité financière n’est pas respectée, nous pouvons nous attendre à une très grave crise des relations internationales.
Il faut aussi reconnaître aux autorités françaises d’avoir fait le lien avec le continent africain et d’avoir su avancer leur capacité financière. A sa façon, Nicolas Sarkozy n’a d’ailleurs pas manqué de nous rappeler que l’Europe n’est qu’à quelques kilomètres de l’Afrique…