Total investit dans l'atome. Le pétrolier français vient en effet de concrétiser une ambition affichée depuis plusieurs mois en déposant, le 10 décembre dernier, une candidature à l'appel d'offre lancé par l'Émirat Arabe Abbu Dhabi pour la construction de deux réacteurs nucléaires. Membre du consortium français créé pour l'occasion, aux côté de GDF Suez, EDF et Areva, Total devrait ainsi détenir 10% du futur capital. Ce projet, dont la valeur des contrats est estimée à 40 milliards de dollars, s'inscrit donc dans la nouvelle stratégie du groupe. Depuis 2008, Christophe de Margerie, PDG de Total, ne cesse en effet de répéter qu'il souhaite faire du nucléaire « un de ses cœurs de métier ». Après une première percée hexagonale, avec l'acquisition en mai dernier de 8,3% des parts du futur réacteur EPR de Penly (Seine Maritime), le pétrolier s'allie donc aux électriciens français pour gagner le marché des Émirats. Une association qui pourrait s'avérer fructueuse, compte tenu des amitiés de longue date qu'entretient Total avec ces exportateurs de l'or noir. D'ailleurs, Christophe de Margerie semble préparer le terrain depuis l'époque où il était directeur général de Total Moyen-Orient : « cela fait bien longtemps que nous suggérons aux Émirats d'investir dans le nucléaire. Produire de l'électricité par ce biais leur permettra aussi de continuer à exporter leur gaz et leur pétrole vers les pays qui n'ont pas les moyens du nucléaire. » Et tout le monde y gagne selon lui.
Cette ambition nucléaire cacherait-elle la crainte des pics pétroliers à venir ? Certainement pas. Pour le PDG du groupe, si ces pics sont indéniables, ils ne sont en aucun cas synonymes d'un épuisement imminent des ressources. Interviewé par l'European Energy Review le 2 décembre dernier, Christophe de Margerie mettait d'ailleurs en garde les pourfendeurs des hydrocarbures : « l'idée que l'âge du pétrole est fini, ou même que nous approchons de son terme est dangereuse. » Et de concéder : « il est vrai que nous devons passer du statut d'une entreprise pétrolière et gazière à celui d'entreprise énergétique au sens plus large. Mais nous ne faisons pas cela pour remplacer le pétrole et le gaz. » Le PDG fustige d'ailleurs le concept de « décarbonisation » de l'économie, le jugeant totalement impossible à concrétiser. « Il faut moins de carbone, certes, mais il existe aujourd'hui des énergies qui ne peuvent pas être produites sans émissions. » Le groupe entend donc développer des modes de productions moins émetteurs de CO2, et place beaucoup d'espoir dans les solutions de stockage, à l'image du site de Lacq (Pyrénées Atlantique), pilote de démonstration couvrant 20% des capacités françaises de stockage de CO2.
« 20% c'était déjà beaucoup. 30% on met la clé sous la porte »
Mais la question des émissions reste un sujet épineux. Car de toute évidence, Christophe de Margerie ne croit pas du tout en la réalisation des objectifs fixés par l'Union Européenne. Et attend avec impatience les conclusions de Copenhague. « Qu'on le veuille ou non, la France est un pays industriel, avec des industries très développées : la chimie, la pétrochimie, l'industrie lourde... Si on fixe 30% comme objectif de réduction d'ici 2020, alors ces industries sont tout simplement mortes. Vous voulez qu'on arrête les émissions de CO2 ? Alors on arrête de produire, et on ferme. »
Et quid des énergies renouvelables ? Le groupe possède la moitié du capital de Tenesol (à part égale avec EDF), société spécialisée dans la conception, la réalisation, la commercialisation et l'exploitation de systèmes solaires photovoltaïques. Il détient également près de 48% du capital de Photovoltech, qui produit des cellules photovoltaïques. Et a investi dans la promotion du solaire, via sa filiale Total Énergie Solaire, à hauteur de 15 millions d'euros sur les années 2008 et 2009 (soit moins de 0,1% de l'investissement global sur 2008). Côté énergies marines, Total participe à deux projets pilotes : sur l'énergie de la houle des vagues en Espagne (à hauteur de 10%), et sur l'énergie des courant marins en Écosse (à hauteur de 16%). Dans son Rapport Environnement et Société 2008, le Groupe stipule également « intensifier la R&D » en matière de biomasse. Mais pour Christophe de Margerie, ces activités se font « en plus, pas à côté » des activités traditionnelles de Total, car elles restent encore peu rentables économiquement.
L'avenir selon Total ne pourra donc se passer d'hydrocarbures en quantité. C'est en tout cas le message que Christophe de Margerie ne cesse de diffuser, nous rappelant que nous sommes tous « carbonés de la tête aux pieds », selon son expression. D'après lui, il est temps que nous acceptions cette fatalité : « qu'est ce que nous voulons ? Est-ce que l'on veut la vie et la croissance ? Est ce que l'on veut une vraie planète, en paix, avec des habitants, ou une planète propre, mais sans personne ? » Les acteurs engagés dans la lutte contre le changement climatique apprécieront.