« En 2012, le Niger pourrait être le deuxième pays producteur d’uranium au monde. Pourtant, il est aujourd’hui le dernier en matière d’indicateur de développement humain. Dans les régions où opèrent les multinationales comme Areva par exemple, les sols sont dégradés et contaminés et nous n’y avons aucun centre de santé de référence… ». Ce que décrit Ali Idrissa, coordinateur de la coalition « Publiez ce que vous payez » pour le Niger, est symbolique de la « malédiction des ressources » ou comment, dans de nombreux pays riches en minéraux ou hydrocarbures, l’exploitation de ces ressources amène pauvreté, inégalités, manque de services publics, etc. Ainsi, au Gabon, Georges Mpaga, qui dirige le Réseau des organisations libres de la société civile, estime que « l’Etat a reçu 10 milliards d’euros de l’exploitation de ses ressources sur trois exercices budgétaires. Cependant, cela n’a pas servi à construire des routes, ni à améliorer le système de santé – déplorable - ni d’éducation », déplore-t-il.
« Cette situation doit et peut changer. Pour les pays qui dépendent des industries extractives, les revenus générés pourraient devenir une aubaine s’ils sont utilisés correctement », estime cependant Oxfam dans un rapport récent sur le sujet (1). Et son directeur général, Luc Lamprière, de citer le cas de la Bolivie qui a su renégocier ses contrats avec les compagnies étrangères, augmentant ses revenus issus du gaz et du pétrole de 448 millions de dollars en 2004 à 1,531 milliard deux ans plus tard. Pour l’ONG, il est donc aujourd’hui nécessaire, entre autres, de « moderniser les cadres juridiques et fiscaux et renforcer les systèmes de gestion financière ». C’est aussi ce que demande la coalition « Publiez ce que vous payez » -dont l’ONG fait partie- qui milite ainsi depuis 2002 pour plus de transparence dans les flux d’argent issus de l’exploitation des ressources naturelles, à la fois dans les comptes des entreprises mais aussi des Etats (voir articles liés). L’objectif étant de savoir quelles sont les taxes et royalties versées -et effectivement reçues- mais aussi quelle est l’utilisation qui en est faite par les autorités. Cette coalition, très présente en Afrique, peut aujourd’hui mettre à son actif la prise de conscience internationale de cette question et la mise en place de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE).
Une prise de conscience
Cette démarche fixe une norme internationale aux sociétés qui doivent rendre public ce qu’elles paient et aux pouvoir publics ce qu’ils perçoivent. Six ans après son lancement, elle regroupe une trentaine d’Etats candidats, de la Mongolie au Nigéria en passant par le Pérou, mais seuls deux d’entre eux, le Libéria et l’Azerbaïdjan, ont été jugés conformes après validation. Ainsi, un audit (2) récent sur le Nigéria a encore montré des écarts de plus de 300 millions de dollars entre les royalties déclarées par les multinationales et les autorités et de 240 millions pour la taxe sur les produits pétroliers en 2005. Selon des experts interrogés par l’AFP, ces différences ne témoigneraient pas forcément de malversations (même si elles sont probables notamment dans les transferts d’argent entre l’Etat et les régions productrices) mais surtout d’une grande opacité et d’un manque de rigueur.
« Il manque encore à certains Etats des capacités institutionnelles et d’expertises pour gérer ces flux », estime Philippe Copinschi, maître de conférences à Sciences Po Paris et spécialiste des questions pétrolières. Face aux pressions des multinationales, certains Etats sont en effet contraints de signer des contrats léonins ou, comme au Tchad, finissent par affecter les revenus issus du pétrole aux dépenses de sécurité au lieu de financer des projets de santé ou d’éducation qui font pourtant cruellement défaut sur place (1). Surtout, les différents coordinateurs africains de « Publiez ce que vous payez » reprochent à l’initiative son caractère non contraignant. Certains d’entre eux, qui militent sur le terrain, ont ainsi du faire face à des menaces et arrestations, tels Marc Ona et Georges Mpaga au Gabon.
Une législation en marche
Malgré toutes ces réserves, l’ITIE semble avoir marqué un premier pas dans la lutte contre l’opacité de l’exploitation des industries extractives, comme l'expliquent les membres de « Publiez ce que vous payez » qui se réunissaient du 16 au 18 novembre à Montréal pour faire le point sur les avancées obtenues. Ainsi, des projets de loi sont en discussion dans plusieurs régions du monde. Au niveau international, on pense par exemple au projet de standardisation des normes comptables (IFRS), et l’Union européenne réfléchit également à une refonte de la directive sur l’harmonisation des obligations de transparence, qui resterait cependant à caractère incitatif. Mais c’est peut-être surtout de l’autre côté de l’Atlantique qu’il faut se tourner. Depuis février, le Canada – où 75 % des entreprises d’exploration et d’exploitation du monde ont leur siège - étudie la possibilité d’obliger les entreprises nationales à respecter les standards RSE du Canada dans les pays étrangers où elles opèrent avec, éventuellement, la possibilité de sanctions juridiques.
Aux Etats-Unis, deux projets de loi, l’un à la Chambre des députés (The extractive industries transparency discolsure act) et l’autre au Sénat (Energy security through transparency act), proposent de contraindre les entreprises de la SEC (Securities and exhange commisssion), soit 90% des multinationales du monde entier opérant dans les hydrocarbures et les activités minières, de publier les sommes qu’elles versent aux gouvernements étrangers dans leur rapport annuel. Si l’adoption de ces projets n’est pas encore acquise, elle est pourtant possible et on observe même des soutiens au sein des entreprises elles-mêmes telle la Newmont Mining corporation qui y voit une protection contre le risque d’image. « De plus en plus de sociétés se rendent compte que le manque d’éthique ou de transparence les pénalise dans leurs recrutement par exemple, souligne Philippe Copinschi. Et la transparence finit par devenir une sorte d’assurance en cas de problème. » Reste que toutes ne sont pas convaincues et déploient encore des lobbyistes pour empêcher la promulgation d’une telle loi…
(1) voir le rapport Oxfam, octobre 2009 « Lever la malédiction des ressources »
(2) réalisé en 2009 par l’Initiative Nigériane de Transparence des industries extractives avec le cabinet Hart Group.