Les banquiers français ont été reçus à l’Elysée pour la 7ème fois de l’année, le 25 août 2009. Le président de la République a expliqué qu’il souhaitait que le prochain G 20 adopte des règles d’encadrement des bonus des traders et qu’il espérait que la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne puissent adopter une position commune sur ce sujet. L’annonce, début août, du provisionnement par le groupe BNP Paribas d’un milliard d’euros pour rémunérer ses traders, en 2010, a mis le feu aux poudres, provoquant de violentes réactions syndicales en interne et une levée de boucliers dans l’opinion publique et la classe politique. A la sortie de l’Elysée, son directeur général a annoncé l’étalement du versement des bonus et divisé par deux l’enveloppe prévue pour 2010. Concrètement 500 millions d’euros ont été provisionnés pour rémunérer les 17 000 salariés de la banque d’investissement. Le versement de l’autre partie sera étalé sur les deux années suivantes et conditionné aux résultats de la banque. Ils ne seront versés que si la banque fait des bénéfices.
Au mois d’avril 2009, le G 20 avait mis en cause le mode de rémunération des traders, comme un des facteurs de la crise et incitait les acteurs financiers à limiter les excès. Quelques mois plus tard, de nombreuses banques dans le monde tentent de revenir au système antérieur en évoquant systématiquement la nécessité de garder leurs traders de talent pour renouer avec la réussite économique.
Codes volontaires
A Paris, comme à Londres, Berlin ou New-York, toutes les places financières brandissent le risque de fuite des cerveaux vers des places plus attractives pour éviter un encadrement trop strict des rémunérations de leurs traders. Dans un communiqué du 24 août, Paris Europlace évoque « l’enjeu essentiel de la compétitivité de la Place de Paris » et met en avant les 820 000 emplois que représente l’industrie financière en France, dont 320 000 pour la seule région Ile de France (contre 319 000 pour le Grand Londres et 158 000 emplois pour la région de Francfort, selon Paris Europlace). Gerard Mestrallet, son président, réaffirme l'ambition de faire de Paris « une place financière de référence en matière tant d'éthique et de sécurité que de performance » mais ajoute qu’il est « essentiel que les nouvelles mesures qui pourraient s'imposer aux banques françaises s'appliquent également et simultanément au niveau international ».
Pour l’instant, l’heure est aux codes de conduite volontaires. En Angleterre, l’autorité des marchés financiers, la FSA, a publié des lignes directrices, le 12 août. Elle n’envisage pas de plafonnement des bonus mais prévoit la disparition des bonus garantis et encourage les calculs basés sur des performances de long terme et le versement de ces bonus sur trois ans. A la même période, son équivalent allemand, la Bafin, a mis en place des dispositions assez proches en mettant l’accent sur la nécessité de calculer le montant des bonus, non seulement sur les performances individuelles mais aussi sur celles de l’établissement financier. Le dispositif anglais est critiqué pour son manque de coercition mais le ministre des finances Alistair Darling a évoqué, lui aussi, la menace habituelle sur la BBC : « Les banques doivent gérer de manière responsable les salaires et les bonus, mais l'une des questions qui me préoccupe, c'est que lorsqu'on évoque le sujet avec les banques, elles répondent que si on change les choses ici, les Américains, les Suisses, ou les Français débaucheront nos salariés.»
Formés ici pour travailler ailleurs
« C’est du lobbying » explique Gilles Pagès, co-responsable du Master « Probabilités et Finances » de l’Université Paris VI-École Polytechnique qui forme des analystes financiers quantitatifs recherchés dans le monde entier. « Les traders se défendent avec des arguments qui leur sont familiers. Ils sont dans un système très concurrentiel, où le turn-over est très élevé et l’habitude d’aller au plus offrant répandue. Concrètement, le montant des bonus est fixé en fin d’’année et ils sont versés au printemps, ceux qui partent entre janvier mars sont ceux qui estiment n’avoir pas reçu de promesses assez élevées et ceux qui partent après avril sont ceux qui espèrent toucher encore plus ailleurs. » Sont-ils pour autant des mercenaires qui se vendront au plus offrant ? « Nous avons vu changer le profil de nos étudiants- une centaine chaque année-. Ils sont passés en dix ans de simples matheux voulant faire autre chose que de l’enseignement à un profil de jeunes gens désireux d’accumuler suffisamment pour pouvoir prendre une retraite confortable à 40 ans maximum ! ». Certains de ses anciens élèves peuvent gagner des dizaines de millions d’euros par an. Ces analystes financiers, qui préfèrent aujourd’hui le « trading algoryhtmique » aux produits dérivés, largement condamnés par la crise, choisiront sans doute l’entreprise financière la mieux disante sur un plan financier, quelle que soit sa localisation géographique. Cela interdit-il pour autant tout changement de règle ?
Réglementation ?
La neutralisation du phénomène pourrait être l’adoption simultanée par les membres du G 20 des mêmes règles. C’est un des enjeux de la réunion de Pittsburgh du 24 septembre 2009.
Mais au delà d’une éventuelle réglementation à venir, Gilles Pagès soulève d’autres questions. S’il estime que la place financière de Paris a depuis longtemps perdu la bataille du marché face à Londres, elle mène en revanche la danse sur la formation. Dans un article, publié il y a deux ans, (voir lien), il s’interrogeait sur le fait qu’en 2007, plus de la moitié des anciens élèves de son master travaillaient à l’étranger, dont 70 % à Londres où leur fortune n’est pas imposable puisqu’ils ne sont pas Anglais. Il écrivait : « Il est sans doute politiquement incorrect d’ajouter que ces jeunes diplômés partent d’un pays où ils ont été formés gratuitement, c’est-à-dire aux frais de la collectivité, pour aller donner le meilleur d’eux-mêmes dans des pays où le coût des mêmes études se compte en dizaines de milliers d’euros par an. ».
Encadrement ou non des bonus, le marché des compétences financières est d’ores et déjà international, ce que vient d’acter NYSE Euronext, la bourse française, en installant ses serveurs informatiques dans la banlieue de Londres ! Alors de quel pouvoir disposent les gouvernements pour fermer leurs frontières sur ce sujet ? Celui de la régulation, menace que les banques américaines prennent suffisamment au sérieux pour l’intégrer dans leurs contrats. Selon Reuters, certaines incluent des clauses précisant que le montant des rémunérations peut être limité ou modifié par l’administration et conformes aux recommandations du « Monsieur rémunération », nommé par le gouvernement Obama, dans leurs contrats avec leurs traders.