La crise sans précédent de la zone euro met à rude épreuve les nerfs et la réactivité des décideurs politiques européens, condamnés depuis 18 mois à avoir un temps de retard sur les marchés financiers mondiaux, leurs exigences et leur impatience.
L'Italien Mario Draghi qui prendra en novembre la présidence de la Banque centrale européenne a souligné lundi cette "contraction du temps dévolu aux politiques" dont il a fait l'un des principaux enseignements de la crise.
Lui-même en a donné un bel exemple lorsqu'il a évoqué le sommet de Bruxelles du 21 juillet, censé sauver la Grèce.
L'encre de l'accord n'a pas encore séché que déjà, l'actuel gouverneur de la Banque d'Italie juge les décisions de ce sommet "insuffisantes", appelant à une "large" révision du traité européen de Lisbonne.
Tout ceci, cependant, prend un temps infini tandis que les marchés financiers, avides de décisions rapides et d'assurances unanimes, n'en finissent plus de plonger.
Dernier exemple en date, le Parlement slovaque a prévenu mardi qu'il ne se prononcerait pas avant décembre sur le renforcement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), l'une des principales décisions du sommet de cet été. Conséquence: ce fonds ne sera opérationnel au mieux qu'en février 2012.
De la même manière, la Commission européenne a fraîchement accueilli l'idée d'une révision du traité de Lisbonne, douchant l'espoir d'une réécriture rapide.
Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS, observe l'inlassable reproduction d'un cycle politique aux effets délétères: "Premier temps, un déni de réalité, second temps, la reconnaissance du problème mais sans que les responsables politiques jugent nécessaire d'agir, troisième temps, la recherche de partenaires pour agir, quatrième temps, l'adoption de demi-mesures à contre-temps".
Moralité, selon l'économiste: "La crise rebondit plus haut et plus fort et le cycle recommence".
Pour son confrère Jacques Sapir, "faire mine de découvrir aujourd'hui qu'il y a une contradiction entre le temps de la crise et le temps politique est une fumisterie au sens propre du terme, un écran de fumée".
Dès juin 2006, l'économiste souverainiste évoquait dans la revue Perspectives républicaines une "crise de l'euro" qui prendrait la "forme d'une sortie d'un système devenu insupportable par un ou plusieurs pays dans le cours d'un choc monétaire ou économique externe".
Persuadé qu'il est "beaucoup trop tard pour réformer le traité de Lisbonne", Jacques Sapir jugerait préférable de "mettre fin à l'expérience de la monnaie unique de manière coordonnée" même s'il redoute qu'elle ne fasse l'objet d'un "acharnement thérapeutique".
Pour Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman, "le temps politique est à la remorque des marchés". Lui-même ne voit plus qu'une issue: un "traité franco-allemand ouvert à qui voudrait le rejoindre pour montrer qu'il y a un noyau dur dans la zone euro". A la clef: "Une intégration économique et financière renforcée, une discipline budgétaire gravée dans le marbre et une réaffirmation du principe de solidarité".
"Les procédures de décision à 27 et même à 17 (le nombre d'Etats membres de la zone euro, NDLR) sont insuffisantes et les traités actuels aussi", observe Jean-Dominique Giuliani qui en veut pour preuve l'intervention de la BCE sur le marché des obligations d'Etat, pourtant exclue par le traité de Lisbonne.
Le député UMP Hervé Mariton en appelle à de Gaulle pour réaffirmer que "la politique de la France ne doit pas se faire à la corbeille". Pour autant, reconnaît-il, "il faut absolument que l'Europe et les Etats soient capables de réagir plus rapidement" et de manière crédible.
"La rapidité sans la crédibilité ne sert à rien mais la rapidité est nécessaire à la crédibilité", observe-t-il.