Le suicide mardi près de Bordeaux d'un salarié de France Télécom-Orange ravive une plaie chez les salariés du groupe, marqué par une vague de suicides depuis 2008 à laquelle mettre fin demandera un "effort quotidien", selon le directeur général de France Télécom, Stéphane Richard.
"Nous avons fait des progrès significatifs l'année dernière et le climat social s'est amélioré", déclare M. Richard dans un entretien au quotidien américain Wall Street Journal (WSJ) publié mercredi. "Mais rien n'est acquis. Ca demande un effort quotidien", ajoute-t-il.
Environ 300 personnes se sont rassemblées mercredi en fin de matinée à Bordeaux devant le site de l'entreprise de France Télécom où travaillait le salarié qui a mis fin à ses jours.
Sa famille, sa femme et ses enfants, s'est recueillie pendant une minute aux côtés de salariés de France Télécom-Orange parmi lesquels nombre de ses collègues.
Les proches de la victime n'ont pas souhaité s'exprimer en précisant qu'ils le feraient dans la semaine.
La direction du groupe avait annoncé mardi "le décès d'un salarié de l'agence professionnelle de Bordeaux qui a mis fin à ses jours en s'immolant par le feu ce matin sur le parking de l'agence entreprise de Mérignac" en Gironde.
Le fils aîné du salarié, joint par l'AFP par téléphone, a affirmé que le suicide de son père était "lié à son travail".
La directrice exécutive d'Orange France, Delphine Ernotte, et le directeur des ressources humaines, Bruno Metling, se sont rendus sur place et ont annoncé qu'une enquête serait diligentée pour faire "toute la lumière" sur le drame.
Quelques salariés se relayaient sur les lieux, où les cendres, toujours au sol, provoquaient stupeur, incompréhension et parfois colère. Des fleurs déposées dans un seau et des traces de fumée noirâtre sur le mur témoignaient du drame.
L'homme qui s'est suicidé était père de quatre enfants, a indiqué à l'AFP Sébastien Crozier (CFE-CGC/Unsa), ajoutant, la voix tremblante: "c'est l'horreur absolue".
Le salarié était représentant du personnel pour la CFDT, et était "préventeur", c'est-à-dire chargé des conditions de travail, de l'hygiène et de la sécurité.
Pour M. Crozier, il faisait partie des "gens qui ont été brisés par la période Lombard", du nom de l'ancien PDG.
Nommé en 2005, Didier Lombard avait dû céder les rênes opérationnelles du groupe en mars 2010 à Stéphane Richard après avoir été fragilisé par une vague de plus de trente suicides entre janvier 2008 et fin 2009, au sein du groupe de quelque 100.000 salariés en France. Au plus fort de la controverse, il avait parlé d'une "mode du suicide".
Le système de management mis en place à partir de 2004 pour inciter au départ 22.000 salariés en trois ans, avec notamment des mobilités contraintes, avait été mis en cause.
Selon François Deschamps (CFE-CGC/Unsa), le salarié avait "mal vécu" le fait "de changer souvent de
poste" ce qui l'avait contraint à vendre sa maison.
Pour la CFDT, le déplacement du DRH "est quand même une marque de prise en compte" de la part de la direction, qui depuis l'arrivée de Stéphane Richard a mis en place un "Nouveau contrat social" pour lutter contre le mal être des salariés.
"On avait réussi à beaucoup calmer les choses. Et là, une immolation par le feu, c'est ultra-violent", a déploré M. Crozier.
Christian Mathorel (CGT) a toutefois jugé que ce suicide était "la démonstration que tout n'est pas réglé à France Télécom".
Pour SUD, "la page de la crise sociale est loin d'être tournée. Il faut mettre un terme à cette série noire", FO jugeant de son côté que "les efforts réalisés par la nouvelle direction générale sont incontestables, mais (que) la capacité du management local à faire vivre le changement reste limitée".
"Peut-on toujours détecter quelqu'un en période de fébrilité dans une entreprise de 100.000 salariés? Peut-on être infaillible? La preuve que non", a reconnu sur place Mme Ernotte.
Pour elle, "si ce drame devait renforcer quelque chose, c'est notre détermination qu'il faut poursuivre dans la voix engagée avec Stéphane Richard et continuer cette reconstruction".
Selon un décompte de l'Observatoire du stress et des mobilités forcées, créé par des syndicats du groupe, il y a eu un suicide en 2011 et 27 en 2010. La direction ne tient pas de décompte.
L'organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé à 17 en 2006 le taux de suicide pour 100.000 habitants.