Le prix Nobel de la paix et "banquier des pauvres" Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, spécialisée dans le microcrédit, a saisi jeudi la justice pour contester son renvoi par la Banque centrale du Bangladesh à l'issue de mois de pression politique.
Le pionnier du microcrédit, âgé de 70 ans, a été limogé mercredi, la banque centrale lui imputant un manquement au règlement fondateur de la Grameen Bank qui encadre la nomination de son directeur général.
Mais jeudi matin, M. Yunus, faisant fi de cette décision, était présent comme à l'accoutumée au siège de sa banque, dont le conseil d'administration lui est loyal.
"Le professeur Yunus a engagé une action pour contester la légalité de la décision de la Banque (centrale) du Bangladesh de lui retirer ses fonctions", a indiqué à l'AFP le procureur général Mahbubey Alam.
La Haute cour de Dacca a été saisie et une audience doit se tenir à 14H00 locales (08H00 GMT), selon des sources judiciaires.
Mercredi, la Grameen bank a diffusé un communiqué de soutien à son fondateur dans lequel elle indique que "le professeur Muhammad Yunus est toujours en poste".
Une loi encadrant le secteur bancaire, datant de 1991, donne de larges pouvoirs à la Banque (centrale) du Bangladesh, y compris celui de mettre un terme aux fonctions des dirigeants des établissements du secteur privé.
Les ennuis de Muhammad Yunus semblent avoir commencé en 2007 lorsque ce dernier créa son propre parti politique, qui fit long feu.
Le Premier ministre Sheikh Hasina, qui accuse l'organisation de micro-crédit de "sucer le sang des pauvres", s'était alors pour pour la première fois opposé au "banquier des pauvres".
En janvier, M. Yunus avait comparu devant un tribunal du Bangladesh pour une affaire de diffamation datant de 2007.
Peu avant, le gouvernement avait ordonné une enquête sur les pratiques financières de la Grameen Bank, qui partage avec lui le prix Nobel de la paix remis en 2006, signe de frictions persistantes entre lui et le Premier ministre Sheikh Hasina.
En 2007, M. Yunus avait accordé un entretien à l'AFP au cours duquel il avait déclaré que la politique au Bangladesh était simplement une affaire de "pouvoir pour faire de l'argent", ce qui lui valut une plainte pour diffamation déposée en janvier 2007 par un membre d'un petit parti de gauche.
Muhammad Yunus a fondé la Grameen Bank pour financer les projets de villageoises bangladaises n'ayant pas accès aux crédits bancaires habituels.
Détenu à 25% par l'Etat, l'établissement compte plus de 8 millions de clients, dans 82.000 villages.
De récents scandales en Inde ont montré que le micro-crédit a pu être détourné de son but pour s'apparenter dans certaines banques à un crédit à la consommation ruineux dont certains bénéficiaires se sont suicidés, une dérive condamnée par M. Yunus.
Les partisans du Nobel n'ont pas tardé à lui apporter leur soutien. La Norvège, qui a participé à la création de la Grameen Bank, a jugé mercredi, par la voix de Erik Solheim, ministre du Développement international, que son renvoi était "une très triste nouvelle. On assiste à une lutte brutale pour le pouvoir au Bangladesh".
"Yunus était une personne populaire, tant dans son pays qu'à l'étranger, et cela vous apporte toujours des adversaires", a-t-il ajouté, faisant référence à la rivalité entre M. Yunus et Mme Hasina.
L'ambassade américaine à Dacca a exprimé son "profond trouble" devant la tentative de limogeage et demandé à Dacca de traiter M. Yunus avec respect.
Le ministre des Finances du Bangladesh, A.M.A. Muhith devait rencontrer jeudi matin des diplomates étrangers pour leur expliquer les raisons du renvoi de M. Yunus.