(AOF / Funds) - "Le risque d'inflation des marchés émergents a été l'un de nos principaux thèmes d'investissement au second semestre 2010. Nous avions alors conseillé aux investisseurs de se prémunir de l'inflation en souscrivant à des obligations indexées sur l'inflation. Mais y a-t-il encore lieu de s'alarmer ? Depuis quelques semaines, le marché suit de près le risque d'inflation dans les pays développés, en particulier au Royaume-Uni", note Philip Poole, de HSBC Global AM.
"De fait, on a assisté à une hausse des taux du marché et des taux directeurs. Toutefois, les pressions inflationnistes qui pèsent actuellement au Royaume-Uni ou dans d'autres pays développés, reflètent davantage des risques importés que domestiques. Il s'agit d'une inflation émanant des pays émergents et non des économies comme le Royaume-Uni."
"A notre avis, la menace inflationniste est beaucoup plus prononcée dans les économies des pays émergents que dans les pays développés. Cela ne veut pas dire que les banques centrales des pays émergents se sont laissées dépasser par les événements. Nombre d'entre elles, en particulier en Asie, ont pris acte des craintes inflationnistes et du risque de formation de bulles spéculatives sur les marchés de l'immobilier résidentiel et commercial ; elles ont resserré leur politique monétaire en s'appuyant sur des mesures conventionnelles et non conventionnelles."
"Cependant, les niveaux d'inflation globale sont déjà largement supérieurs à ceux constatés en milieu de cycle précédent dans un certain nombre d'économies émergentes clés. De plus, rien ne semble indiquer que ces pressions vont s'apaiser. On est donc en droit de se demander si les banques centrales agissent assez vite et ne vont pas créer des risques futurs pour les investisseurs."
"A cet égard, la Russie constitue un bon exemple. A 2,4% en glissement mensuel en janvier, soit plus du double de la hausse mensuelle de 1,1% en décembre, l'inflation des prix à la consommation d'une année sur l'autre est passée de 8,8% à 9,6%. La core inflation (inflation hors prix des produits alimentaires et de l'énergie) a, elle aussi, augmenté de façon notable. Il semblerait qu'une inflation plus forte s'installe durablement dans un éventail plus large de produits de base et de services. Pourtant, la Banque centrale de Russie s'est refusée, jusqu'à présent, à donner un tour de vis monétaire qui nous paraît inévitable, au risque d'aggraver les prévisions d'inflation et de faire grimper les taux d'intérêt nationaux."
"Les pressions inflationnistes qui pèsent sur les économies émergentes découlent généralement de trois causes. Tout d'abord, l'inflation des prix alimentaires est un problème sur de nombreux marchés émergents, comme en Inde et en Chine. Elle reflète les tensions entre l'offre et la demande au niveau local et mondial qui se sont traduites par une très forte hausse des prix des produits de base agricoles depuis quelques mois."
"Cette situation est d'autant plus problématique que les produits alimentaires sont un composant dominant de l'indice des prix à la consommation de nombreuses économies émergentes. Dans certains cas, l'alimentation constitue plus de 40% de l'indice contre moins de 15% aux tats-Unis et en Europe. Dès lors, l'insuffisance de l'offre a des répercussions bien plus importantes sur l'inflation globale dans les économies émergentes que dans les économies développées."
"Les interventions non stérilisées sur le marché des devises constituent un deuxième facteur. Avec la mise en oeuvre de son deuxième quantitative easing (QE2), la Fed continue d'injecter des liquidités dans le système financier mondial. En réaction, de nombreuses banques centrales de pays émergents interviennent sur les marchés de devises en achetant des dollars afin de freiner l'appréciation de leur monnaie nationale."
"Les liquidités externes sont donc transformées en liquidités internes et cette intervention n'est généralement pas stérilisée par le biais d'opérations d'émissions obligataires, notamment en raison du coût de portage négatif que ces dernières supposent pour les autorités. Naturellement, en cas d'inflation, l'appréciation réelle de la monnaie nationale résulte d'un différentiel d'inflation défavorable avec les pays développés, et l'intervention des banques centrales a des effets contraires à ceux escomptés."
"En troisième lieu, il convient de rappeler que des marchés comme l'Inde et la Chine n'ont pas souffert d'une baisse de leur production pendant la récession mondiale. En fait, dans les deux cas, on a seulement observé un léger fléchissement de la croissance. Avec la reprise de l'activité économique, les écarts de production des marchés émergents se sont réduits, et dans un certain nombre de cas, ils ont même tourné à leur avantage. Les entreprises de ces pays ont donc pu récupérer leur pricing power (capacité à fixer les prix) sur les marchés du travail et des biens et services."
"Le marché du travail pourrait constituer une chaîne de transmission importante des pressions inflationnistes dans un certain nombre de cas. Si les salaires réels augmentent plus rapidement que la productivité et si cette différence se répercute sur les marchés des biens et services, les pressions inflationnistes deviendront plus importantes. Le Brésil reste un bon exemple à cet égard. Son marché du travail a fait preuve d'une santé remarquable pendant la crise et son taux de chômage actuel n'a jamais été aussi bas, à tout juste 5,3%."
"Cependant les compressions de coûts sur le marché du travail se traduisent par des pressions sur les salaires et donc par des risques d'inflation. Le Brésil n'est pas le seul pays dans ce cas. Les taux de chômage en Corée et au Chili ont, par exemple, chuté à des niveaux inférieurs à ceux du cycle précédent. En Inde, les salaires des travailleurs qualifiés ont augmenté. De même, en Chine, on assiste à une croissance rapide des salaires nominaux dans le secteur clé des exportations."
"L'inflation a déjà dépassé les prévisions des banques centrales dans de nombreuses économies émergentes. Bien que celles-ci soutiennent que cette situation reflète uniquement des facteurs temporaires comme la cherté des produits alimentaires, il existe un risque de voir cette crise de l'offre se transformer en un cercle vicieux de l'inflation. C'est pourquoi nous pensons que la politique monétaire doit être resserrée dans de nombreux pays émergents."
"Cependant, compte tenu de l'état d'attentisme dans lequel se trouvent la Fed et les banques centrales d'autres pays développés, les relèvements de taux ne font qu'accroître l'écart entre taux d'intérêt et le carry trade sur les devises des pays émergents. On assiste alors à une fuite des liquidités des pays développés où, malgré la hausse des taux du marché, les taux d'intérêt aux tats-Unis et au Japon, par exemple, restent très faibles en termes historiques."
"L'une des solutions à ce dilemme consiste à augmenter les réserves obligatoires des banques afin d'éviter que la croissance de la base monétaire ne se transforme en croissance de la masse monétaire par le biais du crédit. C'est la méthode qui a notamment été mise en oeuvre en Chine, en Turquie et en Israêl. Une autre solution consiste à limiter les apports de capitaux sur les marchés émergents où l'écart de taux d'intérêt reste attractif."
"On est toutefois contraint de se rendre à l'évidence et de constater que l'inflation des pays émergents est sans doute le résultat de la politique monétaire extrêmement accommodante des pays développés et de l'intervention monétaire des banques centrales des pays émergents. A ces facteurs viennent s'ajouter les pressions inflationnistes qui affectent les produits alimentaires et les limites de l'action des banques centrales."
"C'est pourquoi nous ne saurions que trop conseiller aux investisseurs de rester exposés aux devises du carry trade et de se prémunir contre l'inflation en achetant des titres indexés sur l'inflation pendant qu'ils sont, à notre avis, encore abordables. En ce qui concerne les marchés obligataires, ils devraient également se méfier du risque de duration car on pourrait assister à une nouvelle pentification de la courbe des taux si les banques centrales n'agissent pas avec suffisamment de fermeté."
"Enfin, du point de vue des marchés d'actions, étant donné que de nouveaux relèvements de taux paraissent inévitables dans un certain nombre de pays émergents, les investisseurs seraient bien avisés d'éviter les secteurs et les sociétés sensibles aux variations de taux d'intérêt et de privilégier les titres à forte intensité capitalistique, notamment en Asie hors Japon, où le coût de remplacement des actifs est élevé et permet de se prémunir contre les ravages de l'inflation."