Evolution inéluctable ou virage dangereux, le "trading à haute fréquence" et l'accélération des transactions boursières à la milliseconde suscitent des craintes grandissantes: des voix s'élèvent jusqu'au sein du gouvernement pour réclamer un meilleur encadrement.
Jeudi, la ministre française de l'Economie Christine Lagarde a estimé qu'il fallait interdire, dans certains cas, cette pratique très courante aux Etats-Unis et en plein essor en Europe, où elle représente près de 35% des échanges.
En moins de cinq ans, la vitesse d'exécution d'un ordre de Bourse est passée de 2 secondes à environ 150 millionièmes de seconde.
Cette réduction des délais a été favorisée par l'émergence de nouveaux acteurs boursiers -- les plateformes électroniques nées de la directive européenne Mifid en 2007 comme Chi-X (devenue cet été la deuxième plateforme boursière européenne) et les "dark pools" où les ordres de taille importante sont exécutés dans l'anonymat.
"Avoir quelques microsecondes de moins que son concurrent pour voir le marché et déclencher des arbitrages est primordial", affirme Jean de Castries d'Equinox Consulting, puisque cela permet notamment d'attirer les investisseurs les plus actifs tels que les banques et les fonds spéculatifs.
"Dès qu'il y a une mise à jour technologique d'une plateforme boursière et donc un peu plus de rapidité sur une place, sa part de marché augmente légèrement", confirme Charles-Albert Lehalle, responsable de la recherche quantitative chez Chevreux.
La vitesse est devenue un argument commercial pour les plateformes alternatives, qui gagnent des parts de marché face aux opérateurs historiques.
Dans cette course à la vitesse, les plateformes ont franchi il y a quelque temps un pas supplémentaire, en installant leurs ordinateurs à proximité de leurs plus gros clients: ainsi, NYSE Euronext, l'opérateur de la Bourse de Paris, a transféré outre-Manche ses serveurs informatiques pour raccourcir ses délais d'exécution.
Toutes ces transformations, qui bouleversent le paysage boursier, ne sont par ailleurs pas sans risques.
"Cette rapidité permet de passer des ordres et de les annuler très rapidement créant ainsi des variations parfois complètement erratiques sur un cours", estime M. de Castries qui évoque le "krach éclair" qui a ébranlé Wall Street le 6 mai dernier, faisant plonger le Dow Jones en quelques minutes de -2% à presque -10%.
Car si tous les acteurs du marché se sont vite adaptés à ces technologies pointues, fondées sur des algorithmes, les régulateurs sont encore à la traîne.
"Les régulateurs n?ont aujourd'hui plus les moyens d?assurer une supervision efficiente en temps réel des marchés fragmentés européens", assure Roland Bellegarde, vice-président exécutif de NYSE Euronext.
Ce que confirme Jean-Pierre Jouyet, le président de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF), qui indiquait cette semaine à l'AFP que cette technologie rendait la détection des manipulations de cours plus difficile, "tout en perturbant les investisseurs qui n'arrivent plus à lire le marché".
Censée faciliter la liquidité du marché, cette technologie instaure une distorsion entre les différents intervenants, créant un système à deux vitesses entre investisseurs institutionnels d'un côté et petits porteurs de l'autre.
Pour certains analystes, cette course pourrait toutefois toucher à sa fin pour deux raisons: le coût des technologies qui pourrait devenir rédhibitoire et la mise en place d'un encadrement plus strict.
Aux Etats-Unis, le "krach éclair" vient d'inciter le gendarme boursier américain, la SEC, a élargir le nombre de valeurs soumises aux systèmes de coupe-circuit visant à éviter des effondrements de cours.
En Europe, M. Jouyet a appelé à "brider ces activités, comme on l'a fait avec les moteurs de voitures supposées respecter les limites de vitesse sur NOS autoroutes".