L'Allemagne, qui affiche une croissance insolente, peut-elle être un exemple de développement en Europe? La question divise les économistes et irrite notamment en France, où Berlin est parfois accusé de manquer de solidarité.
Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, n'a pas ces état d'âmes. L'Allemagne "peut servir d'exemple à tous ses voisins", a-t-il ainsi lancé la semaine dernière devant la presse.
Rien d'étonnant à cela vu l'attachement du Français à la rigueur budgétaire et à la modération des coûts salariaux, au coeur du modèle allemand.
Après la réunification en 1990, l'Allemagne s'est lancée à corps perdu dans la reconquête de sa compétitivité à l'export, notamment en comprimant les salaires, au point d'être le pays européen où ceux-ci ont le moins progressé en dix ans.
Résultat: elle est le 2e exportateur mondial, derrière la Chine, qui vient juste de la détrôner, et sa croissance cette année pourrait atteindre 3%, soit près du double de la prévision de la zone euro (1,6%).
Mais Berlin est accusé par plusieurs pays de ne pas soutenir assez sa demande intérieure, et donc de ne pas importer suffisamment.
"C'est aux Allemands de décider ce qu'ils ont envie de consommer", rétorque d'emblée Charles Wyplosz (Institut de hautes études internationales et du développement de Genève). Et puis, il faut aussi relativiser, souligne-t-il. "La belle croissance de l'Allemagne n'est que le miroir de sa dégringolade violente de 2009", plus marquée que ses voisins.
Les autres Européens en profitent aussi, puisqu'ils sont "sous-traitants pour l'industrie allemande", explique Chris Williamson, chef économiste du cabinet Markit.
Le modèle allemand est d'ailleurs, à certains égards, très proche de celui de ses voisins, souligne un rapport de 2008 du Conseil d'analyse économique en France, qui rappelle au passage que "l?Allemagne n?a dans les dix dernières années enregistré que deux fois, en 2006 et 2007, un taux de croissance supérieur à celui de la France".
Berlin était qualifié il y a une dizaine d'années de "malade de l'Europe" par The Economist.
"Lorsque l'Allemagne n'est pas la locomotive de l'Europe, toute l'Europe se plaint et si elle l'est, l'Europe se plaint aussi", ironise Ulrike Guérot (European council of foreign relations, à Berlin).
Berlin a aussi beau jeu de rétorquer qu'elle ne fait qu'appliquer les traités européens, adoptés par tous les pays concernés, en insistant sur la rigueur budgétaire.
"Pour créer la zone euro, il y avait le choix entre l'Italie, qui jouait sur l'inflation et la dévaluation, et l'Allemagne qui misait sur la stabilité des prix. C'est le modèle allemand qui a été choisi", indique M. Wyplosz. Et tant pis pour les pays d'Europe du Sud: "Il faut corriger leurs vieux démons, on est au moment de vérité".
Reste que ce modèle divise, accusé de précariser les salariés et de menacer l'équilibre entre les pays de la zone euro, déjà mis à mal par la crise grecque, alors que Berlin profite à plein de l'Europe, son premier partenaire économique.
"Si l'Allemagne avait sa propre monnaie, elle serait actuellement bien plus forte que l'euro", aux dépens de ses exportations, rappelle Chris Williamson.
Berlin est le "premier bénéficiaire du marché unique", abonde Mme Guérot. Elle a donc "tout intérêt à ce que les pays d'Europe du Sud ne souffrent pas trop. Elle l'a montré en acceptant le plan de soutien à la Grèce", estime Jean Pisani-Ferry (centre de réflexion Bruegel à Bruxelles).
"Le sud de l'Europe va devoir regagner en compétitivité et l'Allemagne va devoir en perdre", selon lui. Un processus "très long et difficile", qui, s'il se réalise, devrait faire grincer des dents outre-Rhin.