La situation de Volvo était tellement désespérée que le soupir de soulagement a été général quand l’affaire a été conclue. Mais certains politiciens et syndicalistes suédois se sont inquiétés du changement radical que cela peut supposer en termes de gouvernance d’entreprise, de valeurs et de responsabilité sociale. "Pour nous, l’important est que la production demeure en Suède et que Volvo reste une entreprise suédoise, admettait Mikael Fellström, responsable syndical de Metall Volvo à Göteborg, lorsque les négociations étaient encore en cours fin 2009. Mais il ne faut pas se voiler la face. La Chine est une dictature et Geely est dirigée par le parti communiste et l’état". Mais, disaient les syndicats suédois, c’est l’état qui exécute les prisonniers, pas Geely.
Ce à quoi Kelly Odell, ancien directeur des ventes de Volvo, devenu consultant, a répliqué : "Est-ce que Geely condamne l’oppression et les exécutions ? Ou est-ce qu’au contraire, cette oppression favorise les affaires de Geely ? Des salaires extrêmement bas, des conditions de travail inhumaines et dangereuses sans la moindre possibilité pour les employés de se plaindre ou de s’organiser contribuent à ce que Geely puisse fabriquer ses produits bon marché et a les moyens de se payer Volvo".
La direction conservée en Suède?
Un mois après la signature, Mikael Fellström est tout aussi pragmatique : "Nous avons fait une évaluation du dossier selon les perspectives d’emploi pour nos adhérents. Et nous avons reçu les assurances voulues. Développer les activités de Volvo en Suède est notre principal souci et au final, ce que l’on veut, c’est vendre des voitures". Volvo sera-t-elle indépendante ou intégrée au groupe chinois ? Jusqu’à présent, les syndicats suédois se raccrochent à la promesse chinoise de conserver la production et la direction en Suède. Mais de nombreux experts semblent convaincus qu’à terme, une bonne partie de la production des Volvo se fera directement en Chine.
"Les Chinois ont dit différentes choses à différentes occasions, note Jan Tullberg, spécialiste en éthique d’entreprise. Dans ce contexte, le focus est moins sur le choc culturel qui est repoussé à plus tard, que sur le maintien de l’emploi en Suède". Certains journaux suédois ont rappelé que la Chine interdit les syndicats libres, que les négociations collectives et les grèves sont proscrites. Dans un pays comme la Suède où les accords collectifs sont sacrés et où les syndicats sont un réel pouvoir, rassemblant plus de 75% des salariés du pays, la différence de culture est criante.
"Je ne vois pas de problèmes non plus pour nos droits syndicaux, assure pourtant Mikael Fellström, puisque nous demeurons une entreprise de droit suédois. Bien sûr, nous sommes conscients que de tels doits n’existent pas en Chine. Nous pensons qu’il est préférable d’échanger des points de vue que de s’isoler". Pour Jan Tullberg, le rachat de Volvo, fleuron de l’industrie suédoise, par les Chinois, pose un autre problème : "Le capital suédois est critiquable car il n’a pas bougé pour racheter Volvo. Or je pense qu’il a une responsabilité car c’est une entreprise suédoise. Il est important de maintenir une certaine cohésion entre capital et travail, analyse-t-il. Mais il existe un pessimisme bizarre en Suède, qui veut que les grosses entreprises deviennent trop grosses pour les Suédois et qu’il est normal, passé une certaine taille, qu’elles soient rachetées par des étrangers".
Olivier Truc à Stockholm (Suède)