"L’étiquetage des produits financiers n’est pas entré dans les mœurs au sein de nos réseaux. Il faut le reconnaitre". Ainsi parle Pierre Dutrieu, l’un des artisans de ce programme aujourd’hui officiellement abandonné par les Caisses d’épargne. Pourtant en 2007, la banque avait lancé, en grande pompe, cette innovation sans équivalent dans le monde financier : construire une méthodologie d’évaluation de divers produits financiers sur trois grands critères : climat, sécurité et risque, avec deux ONG environnementales, les Amis de la terre et le WWF, l’ADEME ainsi que Testé pour vous, observatoire indépendant sur les produits financiers, spécialisé dans l’information aux consommateurs.
Un an après, leurs travaux avaient abouti à un étiquetage sur 5 niveaux (voir article lié) qui permettait aux clients qui les consultaient de choisir un placement en fonction de son risque financier, des émissions de gaz à effet qu’il peut induire ou de son impact économique environnemental et social. Cela supposait une formation importante des chargés de clientèle pour qu’ils s’adaptent à ce nouveau discours commercial et une toute aussi forte sensibilisation des clients pour qu’ils s’intéressent aux impacts de leur épargne sur le monde en général, et non plus exclusivement sur leur patrimoine.
"Nous avons fait de la formation, proposer du e.learning mais c’est une œuvre de longue haleine. Il suffit de voir les difficultés qu’ont d’autres secteurs à mettre en place l’étiquetage carbone", ajoute Pierre Dutrieu, directeur du développement durable au sein de la direction de la coordination de la banque commerciale BPCE qui rassemble aujourd’hui les Caisses d’épargne et les Banques Populaires.
Mauvais signal
Peut-être trop en avance au lancement du projet, la Caisse d’Epargne le met en sommeil au moment où il prendrait tout son sens. C’est du moins l’opinion des partenaires de ce mode d’emploi du marketing responsable. "Nous sommes très déçus par cette décision que nous condamnons", regrette Yann Louvel, chargé de campagne Finance privée aux Amis de la Terre. "Au beau milieu d’une crise financière historique qui a révélé l’absence de transparence du secteur financier et mine gravement la confiance des Français dans leur banque, et alors qu’on s’apprête à étiqueter les produits de grande consommation, et, à terme, les services financiers, cette décision est lamentable".
Si le ton est plus mesuré, Testé pour vous exprime la même déception. Pour l’organisation, "c’est un très mauvais signal donné aux consommateurs et aux autres établissements bancaires. Cette décision est incompréhensible dans le contexte actuel de défiance des consommateurs vis-à-vis des établissements financiers. Cet étiquetage répond clairement à un besoin de plus en plus grand d’informations « loyales », plus claires sur les caractéristiques des produits financiers, notamment sur leur risque, et sur leur impact sur la société et l’environnement". Tous deux appellent les Caisses d’Epargne à revenir sur cette décision.
Mais, depuis 2007, les Caisses d’épargne ont changé de dirigeants, affronté la crise Natixis et dans l’attelage qui les lie aux Banques Populaires, le programme Bénéfice Futur n’est plus un axe stratégique. Au sein des établissements bancaires, les commerciaux ne se sentent pas prêts à vendre des produits notés dans le rouge en termes de risque, même s’ils sont dans le vert pour le climat !
L’étiquetage développement durable des produits financiers ne disparait pas complètement. Il continue à travers l’Association pour l’Etiquetage des Produits Financiers, à laquelle participent toutes les parties prenantes de la méthodologie utilisée jusque la par la Caisse d’épargne. Conçue dès le départ pour être mise à la libre disposition de tous les acteurs financiers, elle n’a jamais intéressé d’autres banques. En revanche, MAIF et MACIF, deux assureurs mutualistes, ont choisi de reprendre le flambeau. Ils devraient tous deux proposer cet étiquetage à leurs clients dès l’année prochaine. La Caisse d’Epargne s’est engagée à maintenir sa cotisation auprès de l'association pour financer la recherche et développement sur l'étiquetage.
Anne-Catherine Husson-Traore