« Le système européen d’échange de quotas de gaz à effet de serre a été victime de vendeurs frauduleux au cours des 18 derniers mois, résultant en des pertes d’environ 5 milliards d’euros pour les revenus fiscaux » de différents pays de l’UE, a indiqué dans un communiqué Europol, structure qui coordonne l’ensemble des polices européennes. Pire : « On estime que dans certains pays, ces activités frauduleuses ont représenté jusqu’à 90 % de tous les volumes échangés ».
Procédé employé par les escrocs : une fraude classique à la TVA. Ces derniers ont ouvert des comptes dans l’un des registres nationaux européens qui consignent les transactions de quotas d’émissions de CO2. Puis ils ont acheté des droits à polluer dans un pays différent du leur, exonérés de cette façon de TVA, pour les revendre à des entreprises de leur Etat. Avec TVA, cette fois. Les vendeurs n’ont plus eu qu’à encaisser la taxe sans la déclarer au fisc, et à disparaître.
Une telle escroquerie, portant sur 63 millions d’euros, avait déjà été découverte par la douane britannique en août. Neuf personnes furent alors arrêtées outre-Manche. Mais les principales fraudes auraient été enregistrées en mai. La France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni avaient réagi en modifiant les règles de la TVA de ces produits financiers (notamment exonération de la taxe), comme le proposera la Commission européenne en septembre. Résultat : « A la suite de cette mesure, les volumes ont enregistré une chute jusqu’à 90 % dans ces pays », a noté Europol, qui craint aujourd’hui des fraudes similaires sur les marchés européens du gaz et de l’électricité.
4 mises en examen à Paris
Quatre personnes soupçonnées d’avoir participé à l’arnaque sur les transactions de CO2 dans l’Union et connues des services de police ont été mises en examen hier (10 décembre) à Paris. Chefs d’inculpation : « Association de malfaiteurs », « blanchiment, complicité et recel », « escroqueries à l’ouverture de comptes de quotas à émission de gaz à effet de serre », « abus de biens sociaux », et « escroqueries à la TVA ». Le tout commis en bande organisée. Selon les estimations, les montants détournés se chiffreraient à plus de 156 millions d’euros.
Rappelons qu’à l’issue du Sommet de Copenhague, il est prévu de mettre en place une bourse du carbone de dimension mondiale. A ce titre, la France, qui souhaite devenir une place majeure de ce marché, vient de créer un Comité de place à la Caisse des dépôts. Objectifs : accueillir une autorité régulatrice et « constituer autour de l’Etat et des entreprises privées une instance de dialogue, d’expertise et d’orientation sur les marchés du carbone ».
Marché du carbone : de quoi s’agit-il ?
C’est un mécanisme qui permet d’échanger des droits à polluer : des quotas d’émissions de gaz à effet de serre sont fixés pour chaque pays (puis pour chaque entreprise), et ceux qui possèdent des excédents ont la possibilité de les revendre aux Etats qui ont dépassé ces limites de pollution. Ce système a été mis en place par le Protocole de Kyoto (39 pays signataires) pour combattre le réchauffement climatique, diminuer les dégagements gazeux des industries et des énergéticiens, et aider les Etats à atteindre les objectifs de réduction d’émissions (-5,2 % d’ici 2012 par rapport à 1990). Dans l’UE, une unité de droit d’émissions correspond au rejet d’une tonne de CO2, dont le prix est d’environ 14 euros.
Le premier marché du carbone a vu le jour en 2003 aux Etats-Unis, pays qui n’a pourtant pas ratifié Kyoto. Le « Chicago Climate Exchange » est cependant peu contraignant car basé sur le volontariat des entreprises. Cela dit, les Américains ont inventé les échanges de droits à polluer dans les années 1990 : il s’agissait alors de combattre les émissions de dioxyde de souffre responsables de pluies acides. Et le président Barack Obama prévoit la création d’un marché du carbone au niveau national.
Le système le plus abouti se trouve en Europe : le Bluenext, lancée en décembre 2007 (cette bourse a notamment repris l’activité carbone de Powernext, mis sur pied en juin 2005). Il a une ambition mondiale (ce qui rencontre pour l’instant l’opposition des pays émergents). Aujourd’hui, près de 11 500 entreprises (d’une capacité de 20 MW et plus), responsables de 50 % des émissions de CO2 du continent, y sont soumises. Entre 2007 et 2008, les rejets ont baissé de 3 % dans l’Union.
Le Japon a par ailleurs ouvert un marché du carbone en janvier 2009. L’Australie, elle, veut se lancer en 2011, ainsi que la Nouvelle-Zélande.
Procédé ingénieux de lutte contre les changements climatiques, le marché du carbone ne manque cependant pas de susciter des critiques : certains lui reprochent d’abord l’instabilité du prix de la tonne de CO2. Ce dernier est en effet passé cette année de 30 à 8 euros, avant d’atteindre 14 euros, en raison de la crise économique. D’autres jugent encore que le cours est trop faible, n’incitant en rien les industriels à investir dans des technologies plus propres. Des spécialistes doutent enfin de la capacité du marché à juguler le bouleversement climatique (exclusion des PME-PMI du système, pression importante du lobby industriel,…) et lui préfère la taxe carbone… Sans parler du risque de fraudes qui se révèle aujourd’hui…