Le banquier Julius Meinl V, qui a déboursé jeudi 100 millions d'euros pour tenter d'échapper à une mise en détention provisoire pour escroquerie et abus de confiance, est l'excentrique descendant de la plus célèbre dynastie commerçante de l'Empire austro-hongrois des Habsbourg.
Le Parquet de Vienne vérifie les garanties de cette caution avant de laisser Julius Meinl troquer le siège inconfortable de sa cellule pour le cuir moelleux de sa Bentley, au mieux vendredi en fin de matinée.
L'homme d'affaires de 49 ans, archétype de la grande bourgeoisie viennoise malgré son passeport britannique, se trouvait au centre d'une enquête judiciaire depuis deux ans et présentait des risques de fuite alors que se resserrait l'étau autour de lui, a indiqué le Parquet de Vienne.
Il lui est notamment reproché d'avoir manipulé en 2007 les cours d'une de ses filiales, Meinl European Land (MEL), une société immobilière immatriculée dans un des "paradis fiscaux", l'île anglo-normande de Jersey, qu'il avait introduite en Bourse en 2002 et qui lui avait versé de très juteux dividendes au détriment des autres actionnaires, dont certains ont été ruinés.
Promettant toujours de juteux retours sur investissements, Julius Meinl V s'était également lancé, au sommet de la flambée boursière, dans l'aérien et l'énergie avec Meinl Airport et Meinl Power, allant jusqu'à recruter en 2007 le ministre des Finances libéral sortant, Karl Heinz Grasser. Avec, une fois encore, des centaines de millions d'euros de pertes pour les actionnaires.
Rien pourtant ne prédestinait ce fils de très bonne famille à devenir l'une des figures les plus haïes du monde des affaires en Autriche.
Né le 9 juillet 1959 à Londres, Julius Meinl, cinquième du nom, hérite d'un empire commerçant dont l'emblème, une tête de maure à la coiffe rouge, est synonyme d'excellence et de respectabilité dans toute l'Europe centrale.
Créée en 1862 par Julius Meinl I, à partir d'une épicerie à Vienne, la maison Meinl devient le premier distributeur de l'empire habsbourgeois, essaimant dans toute l'Europe centrale. Elle fonde en outre une banque en 1923.
Après l'annexion (Anschluss) de l'Autriche par l'Allemagne nazie en 1938, une partie de la famille émigre, notamment à Londres. Elle recouvre ses biens en 1945.
Prenant la tête de cet empire en 1983, à l'âge de 23 ans, Julius Meinl V se passionne tant pour la finance qu'il décide au cours des années 1990 de tirer un trait sur l'histoire familiale en vendant l'ensemble de la chaîne de magasins, à l'exception de l'épicerie de luxe située à l'adresse prestigieuse du Graben, au coeur de Vienne.
Le jeune homme d'affaires joue les nababs excentriques, s'affichant dans sa Bentley avec chauffeur sur les 200 m séparant le siège de la banque de l'épicerie fine. Il possède en outre une luxueuse villa-palais érigée sur les hauteurs de la capitale autrichienne.
Profitant de la renommée de sa dynastie, il n'a aucune peine à convaincre petits et grands investisseurs de s'associer à ses projets, dont les cours de bourse s'envolent dans un premier temps.
Le premier retournement de conjoncture en 2007 signe toutefois l'écroulement de l'édifice. Julius Meinl V est contraint de passer la main à la tête de la banque fin 2007 -- devenant toutefois président du conseil de surveillance -- et ses filiales sont rachetées à vil prix par des repreneurs avant, pour certaines, d'être liquidées.