Moins d'un an après l'ouverture d'une information judiciaire sur la fraude colossale qui a coûté 4,9 milliards à la Société Générale, les juges chargés de l'affaire Kerviel ont bouclé lundi leur enquête sur ce dossier hors norme qui a ébranlé le monde de la finance.
Quatre jours après la dernière audition du trader jeudi, au cours de laquelle ses avocats ont demandé de nouveaux actes d'enquête qui ont été refusés, les juges Renaud van Ruymbeke et Françoise Desset ont officiellement notifié la fin de leur enquête, ouverte le 28 janvier 2008.
La défense du trader et la banque, partie civile dans l'affaire, disposent maintenant de trois mois pour réclamer éventuellement des actes d'enquête complémentaires.
Le parquet prendra ensuite ses réquisitions avant que les juges ne se prononcent sur un renvoi en correctionnelle de Kerviel et de son assistant Thomas Mougard. Le procès ne devrait pas avoir lieu avant 2010.
Le trader, âgé de 32 ans, est poursuivi pour "abus de confiance, faux et usage de faux et introduction dans un système automatisé de données", des chefs passibles de cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende.
Il est accusé d'avoir dissimulé à la SocGen des prises de position qui ont atteint 50 milliards d'euros sur les marchés et entraîné une perte de 4,9 milliards d'euros pour la banque. Son assistant est soupçonné d'avoir passé en connaissance de cause des ordres irréguliers.
"Je trouve incroyable que pour un dossier aussi complexe mettant en cause des mécanismes particulièrement délicats, les juges clôturent aussi vite. Nous avions encore des observations à faire notamment en réaction à des notes déposées par la Société Générale", a réagi Caroline Wassermann, un des conseils de Kerviel.
"Il est dramatique de constater que tous les moyens sont bons pour aller vite comme si on avait peur que les vraies responsabilités soient mises au jour dans ce dossier. Je considère que le mécanisme judiciaire n'a pas fonctionné de manière équitable", a-t-elle ajouté.
Lorsque la fraude, découverte le 18 janvier 2008 par la SocGen, a été annoncée le 24 à la presse, elle a provoqué un séisme sur les places financières internationales où l'on s'est interrogé sur la vulnérabilité du système bancaire et du marché.
Jérôme Kerviel a immédiatement reconnu sa part de responsabilité mais dit ne pas vouloir être "le bouc émissaire", affirmant que la banque ne pouvait ignorer ses activités.
Changeant d'avocats, il a adopté ensuite une stratégie plus offensive suggérant une implication pénale d'autres salariés de la banque, mais sans être suivi par les juges.
Pour les magistrats, le trader a fait preuve "d'ingéniosité" pour profiter de défauts de contrôle de la banque, pointés par plusieurs rapports dont celui de la commission bancaire.
Cet organisme de tutelle des banques a d'ailleurs condamné la SocGen à 4 millions d'euros pour les "carences graves" de son système de contrôle interne. Plusieurs salariés de la banque ont également été licenciés.
"A l'issue de cette instruction, je suis reconnaissant aux avocats de Jérôme Kerviel de nous avoir contraints à éclaircir certains points qui leur paraissaient obscurs de telle sorte que je suis convaincu que, le moment venu, nous aurons une audience au fond sereine", a commenté Jean Veil, avocat de la banque.
Evoquant la crise des liquidités qui a frappé les marchés, l'avocat estime que "si l'affaire Kerviel était intervenue quelques mois plus tard, elle aurait mis en péril l'emploi des 130.000 salariés de la banque qui n'aurait peut-être pas trouvé les fonds nécessaires pour se recapitaliser".