Voici des réactions d'économistes après l'annonce par l'Insee vendredi d'une croissance française qui reste positive au troisième trimestre (+0,1%) malgré la crise financière internationale:
- Marc TOUATI (Global Equities):
Alors que l'ensemble de l'Europe sombre dans la récession, la France reste ce village d'Astérix qui résiste à la déprime. Formidable! En effet, les magiciens, oh pardon les statisticiens de l'Insee, viennent de revenir sur leurs estimations d'il y a à peine un mois qui faisaient état d'une baisse de 0,1% du PIB français au troisième trimestre pour la remplacer par une augmentation de 0,1 %.
Grâce à ce coup de baguette magique, Mme Lagarde va donc pouvoir surfer sur la vague de la morosité en annonçant que, techniquement, la France n'est pas entrée en récession, puisqu'elle n'a pas enregistré deux trimestres consécutifs de baisse de son PIB.
Bien entendu, pour nous qui faisons partie des plus optimistes sur la croissance française pour cette année et 2009, cette surprise reste une bonne nouvelle.
Néanmoins, elle doit être largement relativisée. Tout d'abord parce qu'en dépit du petit rebond du troisième trimestre, le PIB reste encore inférieur de 0,2% à son niveau du premier trimestre. Ensuite, en atteignant 0,6% au troisième trimestre, le glissement annuel du PIB se situe à un plus bas depuis le deuxième trimestre 2003.
De plus, même si elles sont en légère amélioration par rapport au deuxième trimestre, les variations de la consommation et de l'investissement demeurent très faibles (respectivement +0,2% et -0,3%).
En outre, le léger mieux du troisième trimestre ne présage en rien d'une nouvelle amélioration au quatrième trimestre. Et pour cause: l'ensemble des indicateurs avancés de l'activité (dans l'industrie, les services et la construction) font état d'une nette dégradation.
A ce sujet, l'enquête de l'Insee sur l'investissement publiée également aujourd'hui indique que les industriels français anticipent une baisse de 3% de leurs investissements en valeur pour 2009. En d'autres termes, tout excès d'euphorie sur la surprise et l'exception française du troisième trimestre serait particulièrement déplacé.
Enfin, il ne faut pas oublier que l'augmentation du PIB n'est pas une fin en soi. En effet, le but de la croissance est avant tout de créer des emplois. Et c'est là où la petite hausse du PIB du troisième trimestre pose problème, car elle n'a pas empêché l'emploi de se contracter. Ainsi, après avoir déjà reculé de 0,2% au deuxième trimestre, l'emploi salarié a encore baissé de 0,1% au troisième trimestre.
Pis, si jusqu'à récemment, la baisse de l'emploi s'observait principalement dans l'industrie, elle est également visible dans les services pour le deuxième trimestre consécutif.
Si la récession technique n'est donc pas encore observable dans les chiffres du PIB, elle est donc déjà bien entamée au niveau de l'emploi, donc dans la réalité concrète des Français.
C'est en cela que, s'il ne faut certainement pas céder au pessimisme noir, il n'est pas possible de dire aux Français que la récession n'est qu'une invention car ils la vivent au quotidien depuis le printemps dernier.
- Nicolas BOUZOU (Asterès):
Les économistes appellent cela "un bruit", c'est-à-dire un chiffre qui ne s'inscrit pas dans une tendance de fond. L'augmentation du PIB au troisième trimestre (+0,1% après une baisse de 0,3% au deuxième) ne change rien à la donne économique fondamentale: l'activité est, à moyen terme, orientée à la baisse, en France comme dans tous les grands pays de l'OCDE.
Ce recul de l'activité est associé à une remontée du taux de chômage. Un mini-rebond du PIB sur un trimestre ne change absolument rien à cet état de fait.
Certes, le chiffre du troisième trimestre est, dans un ENVIRONNEMENT financier et commercial international exécrable, plutôt bon. Mieux: le recul des prix du pétrole et la baisse de l'euro par rapport au dollar sont trop récents pour expliquer cette performance.
La contribution des stocks à la croissance est nulle, ce qui signifie que le PIB produit au troisième trimestre a été vendu: il ne correspond pas à des invendus accumulés dans les usines.
Le PIB a ainsi été soutenu par l'activité dans le secteur des services (en particulier les services aux entreprises), les branches manufacturières connaissant toutes, en dehors des biens de consommation, une diminution de leur production.
La progression des dépenses des ménages repasse en territoire légèrement positif (+0,2%). Il faut y voir un effet de rattrapage par rapport à un premier semestre particulièrement mauvais. C'est un point qui est particulièrement net dans certains secteurs comme celui de l'habillement. Les achats ont été reportés pendant la première partie de l'année. Ils doivent être réalisés pendant la seconde. C'est bon à prendre, mais ça ne durera pas.
On peut peut-être également envisager le fait que certaines dispositions du paquet fiscal (la défiscalisation des heures supplémentaires par exemple) aient eu un effet positif sur la consommation. Christine Lagarde a peut-être raison sur ce point mais, en toute rigueur, on manque encore d'éléments pour l'affirmer avec certitude.
Idem concernant l'investissement des entreprises. Celui-ci a gagné 0,3% au troisième trimestre, parce qu'il avait décroché de 1% au deuxième trimestre. Dans un contexte très concurrentiel, où les équipements se déprécient rapidement, les entreprises doivent maintenir un flux d'investissements pour renouveler, de temps à autres, leur capital.
En revanche, les perspectives de demande auxquelles font face les chefs d'entreprises sont trop faibles pour que cette hausse de l'investissement perdure. Ainsi, l'Insee nous apprend ce matin que les industriels se préparent à diminuer de 4% leurs investissements en 2009. Il s'agirait de la plus forte baisse depuis 2005.
Et puis, gardons à l'esprit deux données fondamentales. L'offre de crédit va continuer à se raréfier fin 2008 et en 2009 sur au moins trois segments: les crédits immobiliers, les crédits de trésorerie aux pme et les crédits d'investissements. En outre, l'emploi va continuer de reculer. Près de 11.000 postes ont été détruits au troisième trimestre dans le secteur marchand, après une perte de 27.500 emplois au deuxième trimestre. La mauvaise conjoncture du marché du travail va peser sur la consommation et annuler les effets positifs du recul de l'inflation.
En conséquence, le PIB devrait repartir à la baisse au quatrième trimestre, ce qui amènerait la croissance du PIB en 2008 à 0,9%.
2009 sera plus compliqué. La crise financière se résorbera lentement alors que les difficultés de l'économie dite "réelle" ne font que commencer. Le PIB devrait reculer de 0,5% l'année prochaine.
- Alexander LAW (Xerfi):
Officiellement, la France a évité la récession. Ainsi, après avoir reculé de 0,3% au deuxième trimestre, la croissance a atteint 0,14% au troisième trimestre, selon les propos de Christine Lagarde ce matin. Il n'y aurait donc pas eu de récession technique (baisse de deux trimestres d'affilée) alors que NOS voisins ont connu les pires difficultés avec une baisse du PIB de 0,5% aussi bien au Royaume-Uni qu'en Allemagne. Ce constat appelle d'emblée trois commentaires principaux:
- d'une part, ce chiffre n'est malheureusement pas définitif. L'histoire (très récente) montre que la première publication du chiffre de la croissance est, par construction, fragile. Les révisions ultérieures sont fréquentes et il n'est pas impossible que le chiffre annoncé ce jour soit revu à la baisse.
- d'autre part, ce filet de croissance ne doit pas masquer les grandes difficultés que rencontre l'économie française. La production industrielle plonge et le déficit commercial se creuse alors que les enquêtes de conjoncture auprès des consommateurs et des chefs d'entreprise (aussi bien dans les services que dans l'industrie et jusque dans le bâtiment) sont toutes plus mauvaises les unes que les autres.
Surtout, la France a continué de détruire des emplois au troisième trimestre (-10.800 dans le secteur marchand). En bref, si on ne peut parler de récession stricto sensu, notre économie en présente bien des caractéristiques.
- Enfin, mais c'est peut être le plus important, il y a des raisons d'espérer.
La France connaît certes une passe difficile, mais elle est bien moins mal lotie que nombre de ses partenaires. Dans ces conditions, il est tout à fait raisonnable de tabler sur une progression du PIB autour de 1% en 2008 (d'ailleurs l'acquis de croissance se situe déjà à ce niveau) et aux alentours de 0,6% en 2009.
Premier soulagement: la consommation des ménages ne lâche pas (+0,2% après deux trimestres négatifs ou nuls). Or, on ne cessera de répéter à quel point les dépenses des Français sont indispensables à notre économie. Autrement dit, sans consommation on ne peut pas espérer de croissance digne de ce nom sur moyenne période. C'est d'ailleurs cela qui peut nous inciter à l'espoir.
L'inflation est en train de reculer rapidement et devrait rapidement passer sous la barre des 2%, ce qui redonnera un peu de tonus à un pouvoir d'achat fragilisé par la détérioration des conditions sur le marché du travail.
Par ailleurs, les ménages français sont bien moins endettés que leurs homologues britanniques, espagnols ou encore américains. Enfin, même s'ils vont continuer de baisser, les prix de l'immobilier ne vont pas s'effondrer: la purge sera moins drastique qu'ailleurs, d'autant que le système bancaire français paraît raisonnablement solide. Ainsi, nous estimons que si la consommation restera fragile pendant 6 à 9 mois encore, elle devrait repartir de l'avant dès l'été prochain.
Deuxième élément réconfortant: les entreprises ont recommencé, certes timidement, à investir. Leurs dépenses se sont ainsi accrues de 0,3% après un recul de 1% au deuxième trimestre et cela malgré la crise financière qui a limité l'accès au crédit.
Attention toutefois, les chefs d'entreprise restent sur la défensive. Les investissements actuels visent avant tout à accroître la productivité. D'ailleurs, l'enquête sur l'investissement en valeur dans l'industrie manufacturière publiée également ce matin montre que les entreprises ont fortement révisé à la baisse leurs intentions de dépenses d'équipement en 2008 et les voient même baisser en 2009.
Plus inquiétant, les créations d'emplois ont de nouveau été négatives au troisième trimestre, avec une nette dégradation de l'intérim. Dans ces conditions, les revalorisations salariales ont été limitées (+0,7%) avec une variation en glissement annuel inférieure à celle de l'inflation.
Il n'y aura donc pas de miracle à espérer à court terme du côté des entreprises. Elles viseront avant tout à préserver leurs marges et leur capacité à générer des liquidités. Elles ne pourront pas compter sur une demande étrangère forte eu égard aux faibles perspectives économiques chez nos partenaires commerciaux. Même l'Espagne, qui filait autrefois à vive allure a cédé: le PIB y a reculé de 0,2% au troisième trimestre.
De fait, même si la contribution du commerce extérieur a été nulle au troisième trimestre, après avoir enlevé 0,4 point de croissance entre avril et juin, on ne pourra pas escompter une reprise durable sur ce front là.
La construction, elle aussi, continue de montrer des signes de faiblesse: l'investissement logement des ménages a de nouveau reculé au troisième trimestre (-1,6% après -2,7% au deuxième trimestre) sur fond de blocage des transactions et de baisse des prix. La seule consolation, c'est que le secteur a continué de créer des emplois: +5.600. Attention toutefois, des destructions de postes pourraient être à l'ordre du jour d'ici à la fin de l'année.
Ne le cachons pas, la lecture de ces chiffres constitue un réel soulagement et confirme notre scénario selon lequel l'économie française échapperait au pire. Certes, nous avons moins profité que nos voisins de la forte croissance mondiale des années passées. Mais la purge sera moins longue et moins brutale dans l'Hexagone.
En effet, les ménages disposent d'une épargne relativement abondante et facilement mobilisable, les prix commencent à se modérer, le système bancaire résiste et les effets richesses négatifs mobiliers et immobiliers seront plus limités qu'ailleurs. En outre, à courte échéance, l'Etat peut s'il le souhaite stimuler l'économie sachant que les critères de Maastricht sur le déficit et la dette ont été provisoirement rangés au frigidaire.
Il ne s'agit pas non plus de crier victoire trop tôt. Non, nous ne pouvons pas dire aujourd'hui que l'économie française est en récession. Et c'est tant mieux. Mais une économie, qui détruit des emplois, dont la production industrielle plonge, dont les agents économiques n'ont pas le moral et dont le déficit commercial se creuse mois après mois, n'est pas en bonne santé.
Dans ces conditions, notre prévision de croissance de 0,6% pour l'année prochaine demeure une hypothèse élevée. Mais, nous la maintenons car nous avons la conviction que la France dispose de facteurs de résilience suffisants pour résister aux vents contraires qui balayent notre économie.
- Frédérique CERISIER (BNP Paribas):
Selon les résultats préliminaires publiés ce matin par l'INSEE, le PIB a légèrement progressé au troisième trimestre de 2008, de +0,1%. Ce résultat, qui évite à la France d'être entrée formellement en récession cet été, a contrario, notamment, de l'Allemagne, est meilleur que prévu.
Il reste que, dans un environnement particulièrement difficile, l'activité française a quasiment stagné, et ce, avant même que l'approfondissement de la crise financière intervenu à partir de la mi-septembre, ne commmence réellement à produire ses effets sur la marche des affaires.
Le détail des comptes nationaux montre un léger rebond de la consommation privée (+0,2%), une moindre contraction de l'investissement, et une contribution nulle du commerce extérieur à la croissance.
Après un semestre de stagnation, ce qui est extrêmement faible au regard des standards français, un léger rebond de la consommation des ménages était attendu, et d'ailleurs, annoncé par le rebond de dépenses des ménages en produits manufacturés (+0,7% au troisième trimestre après 0% au deuxième trimestre).
En revanche, la principale surprise réside dans l'importance du rebond des exportations (+1,9%, soit une performance identique à celle des importations). Au final, le commerce extérieur n'a pas pesé sur la croissance française cet été. Ceci explique l'écart de la croissance publiée par l'Insee avec notre prévision (-0,1% attendu par BNPP). Il semble que les importations allemandes aient très fortement rebondi au troisième trimestre (les données chiffrées seront publiées le 25 novembre), ce qui pourrait expliquer la bonne et surprenante performance des exportations françaises.
L'aggravation brutale des tensions financières en septembre, l'évolution récente, des indices de climat des affaires et de moral des ménages, suggèrent une reprise de la contraction de l'activité au quatrième trimestre, qui se poursuivrait début 2009.