Le Pentagone a décidé mercredi de laisser à la prochaine administration américaine, qui sortira des urnes en novembre, le choix empoisonné de déterminer qui, entre Boeing et l'alliance EADS/Northrop Grumman, renouvellera la flotte d'avions ravitailleurs de l'armée de l'Air.
Dans un communiqué, le secrétaire à la Défense Robert Gates a expliqué qu'il renonçait à régler ce dossier lors de ses derniers mois en fonction.
"Mon avis est que dans le temps qu'il nous reste, nous ne pouvons plus faire aboutir une compétition qui serait vue comme juste et objective dans ce contexte fortement chargé", a précisé M. Gates.
"Le temps de refroidissement qui en résultera permettra à la prochaine administration de revoir objectivement les critères militaires et de mettre en place une nouvelle stratégie d'acquisition pour le KC-X", a-t-il ajouté.
L'entrée en fonction de la nouvelle administration intervenant en janvier, l'appel d'offres se retrouve de fait repoussé à l'année prochaine.
L'attribution de ce méga-contrat, d'un montant initial de 35 milliards de dollars pour 179 avions, connaît là un énième rebondissement, plutôt favorable à Boeing. Le délai obtenu lui laissera le temps de reformuler son offre, jusque-là insuffisante en matière de capacités d'emport.
Boeing a d'aileurs salué la décision, estimant que le report "servira au mieux les combattants en permettant d'avoir le temps nécessaire pour que cet appel d'offres important soit attribué après une compétition approfondie et ouverte".
Le président exécutif d'EADS Louis Gallois s'est déclaré déçu, tout en soulignant que ce nouveau contre-temps n'aurait pas "d'impact sur les perspectives de ventes" ou de résultat de son groupe.
Même commentaire chez le partenaire américain Northrop Grumman, qui a relevé que l'armée de l'Air devra "se passer pendant des années d'un nouveau ravitailleur dont elle a grand besoin".
"Le département de la Défense, la semaine dernière encore, faisait état de l'urgence de remplacer la flotte des ravitailleurs qui date de l'ère Eisenhower (les années 1950, ndlr). Avec ce retard, il est concevable que NOS soldats soient contraints de voler avec des ravitailleurs vieux de 80 ans", a ajouté un responsable de la communication de Northrop Grumman, Randy Belote.
Le Pentagone a assuré que la flotte actuelle de Boeing KC-135 permettait de remplir les missions de l'armée américaine lors des prochaines années.
M. Gates a expliqué que le processus était devenu "énormément complexe et chargé émotionnellement".
"Plutôt que de laisser à la prochaine administration une procédure incomplète et susceptible d'être contestée, nous devrions transmettre proprement cet appel d'offres à la prochaine équipe", a-t-il ajouté.
Selon une source européenne proche du dossier, il faudra de longs mois avant de relancer la procédure. "Je ne pense pas que le nouvel appel d'offres puisse sortir avant un an", a expliqué cette source sous couvert d'anonymat.
"C'est l'US Air Force le perdant et Boeing le gagnant", a estimé cette source, ajoutant que les équipes d'EADS étaient "sous le choc".
Cela fait cinq ans que l'armée de l'Air essaie de renouveler sa flotte de ravitailleurs jusqu'ici fournis par Boeing, mais l'attribution du contrat a été retardée par plusieurs scandales et erreurs de procédure.
Le consortium formé par Northrop Grumman et EADS avait cru pourtant remporter la compétition en février. Les experts de l'Armée de l'air avaient alors estimé que son KC-45, version militaire de l'Airbus A330, offrait un rayon d'action et une capacité supérieurs au KC-767, dérivé du Boeing 767.
Mais en raison d'erreurs dans l'évaluation, l'appel d'offres avait été annulé en juin par la Cour des comptes (GAO). Le Pentagone avait alors présenté de nouveaux critères en juillet, contestés par Boeing, qui avait laissé entendre qu'il pourrait ne pas présenter d'offre.