Voici des réactions d'économistes après l'annonce jeudi d'une contraction du PIB en France de 0,3% au deuxième trimestre:
- Nicolas Bouzou (Asterès):
Plus personne ne jubile. La situation est, en Europe, globalement grave. Le PIB a perdu au T2 0,2% en Italie, 0,5% en Allemagne et 0,3% en France (pour noircir le tableau, le T1 français a été révisé à 0,4%). Tous les pays sont à peu près logés à la même enseigne. Comme les autres, l'économie française est frappée de trois maux.
1/ Une dégradation rapide de l'ENVIRONNEMENT international. La crise du sub-prime, partie des Etats-Unis, s'est prolongée de proche en proche dans l'ensemble de l'économie mondiale (marchés émergents compris, si l'on en croit les dernières statistiques indiennes et chinoises). Le commerce international est entré dans une phase de ralentissement, pénalisant NOS exportations (-2% pour la France au T2, un phénomène aggravé par la surévaluation de l'euro). Faisant face à une moindre activité (les taux d'utilisation des capacités de production reculent dans la plupart des secteurs), les entreprises diminuent leurs investissements (-1% au T2 après, là encore, un très bon T1).
2/ La hausse tendancielle des cours des matières premières (énergie, matières premières industrielles et agricoles), qui a amené l'inflation française à son plus haut niveau depuis 1991, a pesé, sur le pouvoir d'achat et donc sur la consommation (quasiment stagnante au T2). La hausse des prix des importations a également diminué le taux de marge des entreprises, contribuant au recul de l'investissement.
3/ Le retournement du marché de l'immobilier. L'investissement logement des ménages a décroché de 2,9% au T2, conformément à la baisse observée des mises en chantier. Ce retournement de cycle pèse sur la filière immobilière (en terme d'activité et d'emplois) mais entraîne aussi des dégâts collatéraux (sur l'accès des ménages au crédit ou sur la consommation de biens d'équipement de la maison).
Et encore, la variation des stocks (pour une raison que, tout à fait honnêtement, je n'explique pas) a apporté 0,3 point de croissance. Autrement dit, hors effet de stocks, le PIB français a reculé de 0,6% !
De façon fort logique, les entreprises ont adapté leurs comportements d'embauche à la conjoncture : 12 000 emplois nets ont été détruits au T2 dans le secteur marchand. Il faut donc s'attendre à une remontée du taux de chômage d'ici la fin de l'année, lequel devrait repasser rapidement au-dessus de 7,5% de la population active (taux de chômage pour la France métropolitaine).
Face à ces très mauvais chiffres, deux questions. Est-ce que ça va durer ? Que peut-on faire ? Première question : oui, ça va durer, encore au moins un trimestre. Les indicateurs avancés dont nous disposons signalent un T3 de la même eau que le T2. T4 devrait être meilleur en raison de la baisse des prix des matières premières, de la dépréciation de l'euro et de la reprise aux Etats-Unis. Mais, pour la France, il est désormais difficile d'imaginer une croissance en 2008 supérieure à 1,5%.
Deuxième question : que peut-on faire ? Dans le cas de la France, pas grand chose. Théoriquement, la seule politique de relance efficace à court terme est keynésienne. Elle suppose, soit un assouplissement de la politique monétaire de la BCE (possible si la baisse des cours des matières premières se poursuit). Soit une relance par les allègements d'impôts (ce qu'ont fait les Américains avec succès). Cette dernière OPTION est exclue dans le cas de la France, l'état des finances publiques ne le permettant pas. Le paquet fiscal a en effet épuisé nos dernières marges de manoeuvre budgétaires, même si, rétrospectivement, cette politique n'était pas si absurde. On peut en particulier se demander quel serait le niveau de la consommation des ménages si l'on n'avait pas défiscalisé les heures sup.
Globalement, ces chiffres posent tout de même une vraie question de politique économique aux Européens. Ce sont les Etats-Unis qui ont créé la crise (bulle immobilière, excès de crédit..) et c'est l'Europe qui a la récession. On en revient toujours à la même lancinante question : comment renforcer le potentiel de croissance de l'économie eurolandaise ?
- Alexander Law (Xerfi):
Eu égard aux circonstances, il était tout simplement impossible que la France se sorte sans encombre de la crise économique mondiale. Ainsi, après les chiffres soi-disant jubilatoires du premier trimestre (révisés, soit dit en passant, en baisse à +0,4%), le PIB a reculé de 0,3% dans l'Hexagone en T2, soit la pire performance depuis le quatrième trimestre de 2001. Ne le cachons pas, le risque d'une récession est désormais très grand pour l'économie française car la situation ne s'est pas radicalement améliorée depuis le mois de juillet et il est fort possible que nous assistions à deux trimestres consécutifs de baisse de l'activité. Quoiqu'il en soit, nous devons tirer un premier constat : avec un acquis de croissance désormais limité à 0,9%, notre prévision centrale d'une hausse du PIB de 1,7% pour l'ensemble de 2008 n'est plus du tout tenable. Selon toute vraisemblance, la croissance française tournera cette année autour de 1% seulement, un scénario dont nous vous avions fait part dès la fin d'année dernière. Ce qui est plus gênant c'est que le gouvernement a bâti son budget sur des hypothèses de progression de l'activité qui sont aujourd'hui particulièrement chimériques. En d'autres termes, le déficit budgétaire devrait déraper sérieusement.
La baisse du PIB en France s'explique par trois facteurs principaux :
- la détérioration rapide de la conjoncture internationale. En T2, le PIB a baissé en Italie, en Allemagne, au Japon, et devrait freiner brutalement aux Etats-Unis. Sans le soutien de ses partenaires commerciaux, il n'y a aucun espoir que l'économie française puisse s'en sortir toute seule.
- La consommation des ménages reste déprimée. Or, depuis 2002, les dépenses des Français représentent entre 60% et 100% de notre croissance. Exprimé plus simplement : hors la consommation, point de salut. Il faut dire que les facteurs négatifs se sont accumulés. Les prix ont continué de déraper au deuxième trimestre, minant le pouvoir d'achat. Par ailleurs, le marché immobilier a confirmé son retournement, ce que montre d'ailleurs l'effondrement de l'investissement logement des ménages (-2,9%). Et nous apprenons aujourd'hui que 12 200 emplois ont été détruits dans l'économie française entre avril et juin. Ce qui signifie, au passage, que les entreprises ont senti le vent tourner et la récession approcher.
- Justement, les entreprises, après avoir sauvé la croissance en début d'année, ont lâché prise. L'investissement a reculé de 1% et le commerce extérieur a ôté 0,5 point à la croissance. Comment pouvait-il en être autrement? La demande, domestique et internationale est déprimée, les coûts de production ont flambé sous les coups de boutoir du pétrole et la compétitivité a été écornée par la vigueur insolente de l'euro (qui risque toutefois de tanguer sur les marchés eu égard à la litanie de mauvaises nouvelles dans la zone euro). Si on y ajoute les conséquences de la crise financière, qui rend plus difficile l'accès au crédit pour les entreprises, on obtient un cocktail particulièrement toxique qui empoisonne aujourd'hui l'économie de la France.
Si on se fie à ces seuls chiffres, il y a de quoi être inquiet : le PIB recule, la consommation stagne, l'investissement et la production industrielle sont en recul, l'activité dans les services s'effrite, l'emploi se dégrade, les ménages ont le blues et les entrepreneurs doutent. Dans ce contexte, peut-on encore y croire? Soyons honnêtes, le troisième trimestre est déjà compromis. Mais il reste un petit espoir: la baisse récente du cours du baril (même s'il a repris du poil de la bête mercredi soir) pourrait bien être amenée à se prolonger jusqu'en fin d'année sous l'effet d'une décélération marquée de la demande. Cela pourrait dès lors redonner un peu de peps au pouvoir d'achat des ménages et participer d'un léger redressement de la consommation, quand bien même la situation sur le marché de l'emploi est aujourd'hui sensiblement dégradée. Il s'agit là de notre seule chance pour que la croissance de 2009 soit digne de ce nom. Pour 2008 il est déjà malheureusement trop tard.
- Marc Touati (Global Equities):
C'est la bérézina ! Dire qu'il y a à peine trois mois, nous étions parmi les très rares à annoncer le risque d'une baisse du PIB en France et dans la zone euro. Dire qu'il y a encore quelques jours, nous étions les seuls avec la Bank of America à annoncer une baisse du PIB français pour le deuxième trimestre 2008. Et pourtant ! Non seulement le PIB a reculé au deuxième trimestre, mais bien plus que les 0,1% que nous anticipions, sa chute a atteint 0,3%.
Pis, sans la contribution positive de la formation de stocks, la variation du PIB français aurait été de - 0,6%.
De quoi calmer ceux qui avanceront que la baisse du PIB s'explique avant tout par la contribution négative du commerce extérieur (- 0,5 point). Comme cela s'observe très régulièrement dans l'Hexagone, il est effectivement assuré que le gouvernement et les nombreux économistes politiquement corrects chercheront à masquer la réalité et à utiliser la traditionnelle méthode Coué pour expliquer que tout va bien dans l'Hexagone et qu'il ne s'agit que d'un trou d'air passager.
Mais la réalité est et sera tout autre. En effet, il faut tout d'abord souligner qu'après avoir baissé de 0,1% au premier trimestre, la consommation des ménages n'a augmenté que de 0,1% au deuxième trimestre, confirmant par là même que son atonie est durable. Ensuite, la dégradation du PIB tient surtout au plongeon de l'investissement : - 2,9% pour l'investissement logement des ménages et - 1% pour l'investissement des entreprises.
Or, il s'agit bien là de deux indicateurs avancés de l'emploi. Et c'est là que le bât blesse. Car, après avoir déjà baissé de 0,1% au deuxième trimestre, l'emploi salarié devrait encore reculer au troisième trimestre, notamment via la baisse de l'investissement. D'où une nouvelle dégradation du pouvoir d'achat, donc de la consommation, donc du PIB, puis de l'emploi et le cercle pernicieux continuera.
Il faut donc être clair : l'économie française ne vit pas un simple trou d'air mais est bien en train de s'enfoncer dans une récession au moins aussi grave que celle de 1993. Compte tenu des chocs qu'il faudra encore digérer (dégonflement de la bulle immobilière, ralentissement de la croissance mondiale et notamment eurolandaise, hausse du chômage, euro et pétrole toujours trop chers malgré leur baisse récente), le rebond ne commencera au mieux qu'au printemps 2009.
En termes de "performances" de croissance, cela se traduira par une progression annuelle du PIB français d'environ 1,3% cette année (notons d'ailleurs que l'acquis de croissance n'est que de 0,9% à la fin du deuxième trimestre) et 1,2% en 2009. Dans ce cadre, le taux de chômage devrait retrouver la barre des 8% courant 2009 et le déficit public devrait dépasser les 3% du PIB tant cette année que l'an prochain. A l'évidence, on aurait aimé mieux comme bilan de la Présidence française de l'Union européenne.
- Mathieu Kaiser (BNP Paribas):
En baissant de 0,3% t/t au deuxième trimestre, le PIB a enregistré sa première contraction depuis le T4 2002, en ligne avec le décrochage des données d'enquête depuis mars et avec la vague de mauvais indicateurs des dernières semaines (inflation, dépenses des ménages, exportations, consommation). Sans la contribution des stocks, la baisse aurait même été de -0,6% t/t... Le résultat du premier trimestre ayant été abaissé à +0,4% t/t (contre 0,5% précédemment publié), l'acquis de croissance à la fin du premier semestre est faible : sans progression du PIB au second semestre, la croissance annuelle s'établirait à 0,9% en 2008. Or, les indicateurs avancés traduisent actuellement un risque élevé de deuxième recul du PIB au T3 (i.e. une récession), et les conditions d'activité ne semblent pas devoir s'améliorer rapidement par la suite. Sur l'année, la croissance pourrait donc avoir beaucoup de mal à dépasser 1%.
En effet, si le T2 a été caractérisé par la correction de facteurs exceptionnellement positifs en Allemagne au T1 qui ont pesé sur les exportations, la tendance sous-jacente est clairement mal orientée en raison de l'adversité extérieure (diffusion des difficultés américaines à l'ensemble de l'économie mondiale, en particulier la zone euro ; tensions sur les marchés boursiers, monétaires et de crédit ; flambée des prix importés et de l'euro) et de la dégradation rapide du marché immobilier national.
Sur le front extérieur, les puissants vents de face évoqués se sont traduits par un recul des exportations de 2%, le plus fort depuis T4 2001. Malgré la baisse des importations, le commerce extérieur (en volume) a ainsi ôté 0,5 point à la croissance trimestrielle.
Les comptes nationaux du T2 confirment aussi que les ressorts de la demande des ménages sont cassés. La consommation est demeurée asthénique (+0,1% après -0,1% au T1 - premier recul de la consommation depuis T1 97). L'accélération des prix fait évidemment partie des explications puisqu'elle a impliqué un nouveau recul du pouvoir d'achat : +1,4% t/t pour les prix, contre +0,9% t/t pour les salaires, soit -0,5% t/t pour les salaires réels. Mais, contre toute attente, l'emploi salarié a également baissé (-12 200 emplois, soit -0,1% t/t, première baisse depuis T1 2004), sans doute en raison de la suppression de nombreux emplois intérimaires, qui avaient fortement contribué à la progression de l'emploi total au T1. Ces destructions d'emplois expliquent la remontée des craintes relatives au marché du travail dans les enquêtes de confiance auprès des ménages des derniers mois. Alors que le pic d'inflation est probablement passé, ces craintes vont prendre le pas sur les inquiétudes concernant les prix et peser sur le moral des ménages au second semestre. Dans ces conditions, les effets du paquet fiscal sur le revenu des ménages, surtout sensibles en septembre au moment du paiement du solde de l'impôt sur le revenu, pourraient être très insuffisants pour faire rebondir la consommation à court terme.
Les tensions sur les finances des ménages se sont également traduites par l'accélération de l'affaissement de leur investissement immobilier dans le neuf (-2,9% t/t après -0,5% t/t), un mouvement qui devrait se poursuivre au vu des chiffres récents de mises en chantier.
Au final, en dépit d'opinions encore relativement optimistes dans les dernières enquêtes sur l'investissement, la FBCF des entreprises non financières a logiquement diminué face à la contraction des autres composantes de la demande : -1,5% t/t (plus fort recul depuis T4 2001).
L'économie française paraît donc être clairement entrée dans une phase de récession, conséquence logique non seulement d'une crise économique profonde au plan international, mais aussi de handicaps structurels spécifiquement nationaux. Les réformes en cours sont de nature à lever ces blocages intérieurs, et à profiter de la prochaine reprise davantage que de la dernière. En attendant, les tensions seront multiples et il va falloir faire le dos rond...